[Cette chronique a d’abord été publiée dans la newsletter du 14 avril 2024. Abonnez-vous]
Je dis souvent à mes copains entrepreneurs qu’ils devraient tous avoir une chaîne Youtube.
Pas pour avoir des clients, car il y a peu de métiers où c’est plus rentable que la bonne vieille prospection directe.
Pas non plus pour avoir plein de fans et être célèbre car (1) c’est rarement le cas dans les niches d’entreprise et (2) c’est extrêmement difficile de percer.
Mais, justement, parce que c’est extrêmement difficile de trouver son public et que c’est une super école.
Youtube meilleur qu’HEC pour apprendre le marketing ?
Parfaitement.
Le marketing, finalement, c’est quoi ?
Le portail Faciléco du ministère de l’économie explique que « la fonction Marketing et vente regroupe l’ensemble des activités et processus permettant à une entreprise :
de comprendre les attentes des consommateurs et la situation du marché sur lequel elle évolue,
d’essayer d’influencer le comportement des consommateurs dans le sens de ses objectifs. »
J’aime bien cette définition car elle montre l’intérêt qu’on a tous à développer nos compétences « marketing ».
Les deux compétences clés, « comprendre les attentes » et « influencer le comportement », sont tout aussi utiles en vente, en négociation, en management, ou en recrutement… qu’en marketing.
Et Youtube est un endroit extraordinaire pour les développer.
Voici comment fonctionne la plateforme :
n’importe qui peut, en quelque minutes, ouvrir sa chaîne et commencer à publier des vidéos.
Chaque vidéo a un titre, dont seuls les 50 premiers caractères s’affichent, et une miniature. Par défaut c’est une image de la vidéo mais on la remplace généralement par une image de couverture.
Lorsque je publie une vidéo, l’algorithme commence par la proposer à une partie de mes abonnés. Si je n’ai pas d’abonnés, il la montre aléatoirement à différentes personnes, de différents profils, et à différents moments.
À chaque fois qu’il la montre à un utilisateur de la plateforme, il compte une impression. Et il mesure.
Il mesure le taux de clics. Le pourcentage de personnes qui, ayant vu la miniature et le titre, ont cliqué sur la vidéo.
Puis il mesure la rétention. Le pourcentage de gens qui ont dépassé 30 secondes (pour éliminer les clics par erreur) et la durée de visionnage moyenne de la vidéo.
Enfin, il mesure le temps total que l’utilisateur a passé à regarder des vidéos (n’importe lesquelles) après avoir cliqué sur ma miniature. En gros il évalue si je les ai fait partir de la plateforme ou poursuivre avec d’autres vidéos.
Et ce que l’algorithme Youtube cherche à optimiser, c’est le temps total que nous passons à regarder des vidéos. Donc il cherche à proposer à chaque utilisateur une sélection de vidéos qui ont le plus de chance de le faire cliquer … et rester. Plus ma vidéo a du succès auprès des premiers utilisateurs à qui il la montre, plus il va la pousser auprès d’autres utilisateurs. Et c’est comme ça qu’on gagne des abonnés.
Le feedback précieux de Youtube
Ce qui est génial, c’est que Youtube est totalement neutre. Il se fiche du contenu, de l’esthétique, de l’autorité, de l’image, de la pertinence de nos vidéos. Il ne regarde que la performance objective.
Et il apprend. Il apprend que les gens qui cliquent sur mes vidéos sont surtout ceux qui ont aussi cliqué sur telle ou telle autre vidéo, ou qui sont abonnés à telle ou telle autre chaîne. Et donc c’est en priorité à ces personnes qu’il propose mes vidéos.
Ou bien il apprend que cette nouvelle vidéo obtient autant de clics que les autres mais que les gens ne restent pas et décrochent assez vite. Il la met donc moins en avant. … etc.
Qu’est-ce que ça veut dire pour les créateurs ?
Ça veut dire que les performances de nos vidéos sont un feedback immédiat, et parfaitement objectif, de la qualité de notre marketing :
Si les gens ne voient pas l’intérêt de la vidéo, ils ne cliquent pas.
Donc, le packaging est primordial : quelle que soit l’importance et la singularité de notre message, si personne ne clique, personne ne le verra.
Il faut donner envie.
Mais s’il cliquent en s’attendant à un certain contenu et qu’ils ne s’y retrouvent pas, ils reviennent en arrière et essaient autre chose. On ne peut donc pas faire du packaging racoleur.
Et s’ils commencent à regarder la vidéo mais qu’elle ne tient pas ses promesses ou qu’elle est mal faite, ils l’abandonnent en route.
Et si c’était la première fois qu’il regardait une de mes vidéos, ou s’ils sont déçus trop souvent, ils ne reviendront plus. La qualité et la régularité du contenu compte donc aussi.
Trop tard pour percer ?
Vous allez peut-être me dire que le jeu est biaisé, que c’est trop tard, qu’il y a des niches saturées et des youtubers déjà installés.
Mais on n’est pas dans un jeu à somme nulle : ce n’est pas parce que vous appréciez les recettes de cuisine d’une blogueuse que vous n’allez pas regarder aussi une vidéo de cuisine d’un autre youtuber débutant… si la promesse du packaging est attractive et que la vidéo tient cette promesse.
Par contre, pour exister dans une niche où il y a déjà d’excellents contenus, il faut être capable d’apporter quelque chose de plus : une meilleure qualité ou un nouvel angle, une autre approche ou une spécialité : la cuisine au feu de bois, les pizza, la cuisine sans cuisson, la cuisine coréenne… on peut toujours raffiner un domaine et se positionner comme expert d’un cas particulier.
Et si, au contraire, il n’existe pas de chaîne installée dans le domaine où je veux faire des vidéos, c’est peut-être qu’il n’existe pas de demande pour ce type de contenu.
Donc, pour réussir sur Youtube, il faut être capable de comprendre ce qui marche, d’identifier ce qui intéresse les gens, de produire quelque chose de nouveau, et d’intéressant ou d’utile sur ce sujet et de le packager d’une manière qui rend la proposition de valeur claire et le clic irrésistible.
Si ça c’est pas une école du marketing !
Une plateforme encourageante
Et ce qui est génial c’est que Youtube, l’entreprise, fait tout pour que l’offre de Youtube, la plateforme, soit la plus alléchante possible pour le plus grand nombre de consommateurs. Et donne donc tous les outils aux producteurs de contenus pour s’améliorer et faire le meilleur contenu possible.
Youtube fournit des statistiques à n’en plus finir sur le taux de clics, le profil des gens qui cliquent, la rétention dans la vidéo, les heures et les jours où les gens regardent, leur profil démographique … c’est incroyablement riche.
Je ne crois pas qu’il y ait tellement d’autres domaines où on a autant l’occasion d’exercer ses compétences gratuitement, avec du feedback immédiat et objectif, et des outils pour analyser sa performance.
Pour autant c’est pas facile.
Je galère pas mal avec la chaîne Mille Mentors. Certaines vidéos me semblent plus intéressantes que d’autres mais, globalement, je fais un bide.
Je me suis fait conseiller par un Youtuber qui a un certain succès, avec des vidéos à plus de 100 000 vues, et il m’a rapidement dit qu’il fallait que j’arrête d’écrire et de produire des vidéos « de professeur » :
Le management,
1.a. À quoi sert le management,
1.b Les différentes dimensions de la fonction.
« Tes vidéos ont plutôt une bonne qualité de production, mais il n’y a pas d’enjeu. Tant que tu ne sais pas poser un enjeu en une image et un titre de 50 caractères qui rend le besoin de cliquer irrépressible, n’essaie même pas d’écrire la vidéo. »
Ça m’a fait penser au MVP des startups : tant qu’on n’a pas trouvé une proposition de valeur pour laquelle les gens sont prêt à payer, pas la peine de développer le produit.
Dure leçon. Moi qui pensais que « Management : comment obtenir des résultats ? » était une bonne proposition de valeur, me voila face à des titres beaucoup plus accrocheurs, qu’ils jouent sur la curiosité, l’empathie ou le voyeurisme :
« À l’intérieur du chantier titanesque pour rendre l’eau de la Seine baignable pour les JO »
« Cette invention a rapporté des millions à Disney … puis ils l’ont perdue »
« Comment je fais pour me lever tous les matins sans me sentir misérable »
« Pourquoi il y a toujours des cailloux entre les rails des trains ? »
Jouer le jeu Youtube: se rabaisser ?
Vous allez peut-être me dire que les gens se fichent de la qualité et qu’il faut flatter les bas instincts et faire des trucs idiots comme Squeezie ou Mr Beast. Et donc que jouer le jeu Youtube c’est se rabaisser.
Sauf que l’idiot c’est peut-être celui qui pense qu’un truc qui marche depuis des années et génère beaucoup d’argent n’a aucun sens.
Si beaucoup de gens donnent de l’argent, depuis des années, ça ne peut pas être un malentendu.
C’est sans doute plutôt le signe que quelqu’un a compris comment apporter une valeur que, moi, je n’ai pas encore perçue.
C’est peut-être, ou plutôt sans doute, le signe que j’ai encore beaucoup de progrès à faire en marketing.
Reprenez la définition :
comprendre les attentes des consommateurs et la situation du marché sur lequel elle évolue
essayer d’influencer le comportement des consommateurs dans le sens de ses objectifs
C’est exactement ça !
Bon, allez, je retourne faire des vidéos, les compétences que j’acquière vont me servir pour améliorer les offres « sérieuses » de ma vraie boite.
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Ce texte a été originellement publié dans L’hebdo de Mille Mentors, le petit mail qui fait du bien le dimanche soir : une réflexion comme celle-ci, inspirée par l’actualité de la semaine, puis quelques pépites relevées dans ma veille et une pastille détente. Pour en profiter chaque semaine en avant-première, abonnez-vous.