[extrait de la newsletter du 17 octobre 2021]
Parfois il faut des années pour accepter une vérité contre-intuitive : il n’y a rien qui s’oppose plus à notre bonheur, ou tout le moins à notre sérénité, que l’évitement de la souffrance.
J’évite des conversations difficiles, tout le temps. J’évite quelques personnes désagréables, parfois. J’évite certaines décisions douloureuses, longtemps.
Et je ne suis pas seul. Je vois tous les jours que nous évitons les faits qui montrent qu’on va dans le mur, ou qu’on a peut-être eu un peu tort dans une discussion récente. Lorsqu’on a un grand projet, dont on parle depuis des mois ou des années, nous sommes nombreux à éviter de passer à l’action et de nous confronter, peut-être, à des résultats qui ne seraient pas ceux escomptés …
Nous sommes des champions de la procrastination, l’art de trouver de très bonnes raisons de n’avoir pas fait ce qu’on devait faire.
Pendant longtemps j’ai cru que la procrastination était une faiblesse de caractère, un défaut. Et, en un sens ça l’est, si l’on considère les résultats externes. Mais j’ai découvert dans « The Now Habit » que la procrastination est aussi une stratégie très efficace d’auto protection psychique. C’est pour ça qu’elle résiste si bien à l’injonction et à l’évidence de ce qu’il faudrait faire.
Pourquoi procrastinons-nous ? Pour éviter à moindre coût une situation inconfortable : en occupant mon temps à plein de tâches secondaires et en me mettant en retard sur un vrai travail important, ou la révision d’un examen à enjeu, je me construis facilement une protection psychique : si j’échoue, si mes résultats sont insuffisants ce ne sera pas parce que mes compétences et mes capacités sont insuffisantes mais parce que je n’ai pas eu assez de temps pour faute quelque chose de parfait. Et plus l’enjeu est élevé, plus le mécanisme fonctionne. Pour notre cerveau il importe moins d’augmenter les risques d’échec que de se construire une protection de l’ego en cas d’échec.
Tout se passe comme si notre cerveau associait nos résultats, nos talents et notre valeur … en oubliant que nos résultats sont aussi et surtout le fruit de notre effort avant d’être celui de nos talents, et que notre valeur en tant qu’être humain tient à beaucoup plus qu’à nos talents : n’aimons-nous que des gens exceptionnellement talentueux ?
La procrastination de perfectionnisme est la plus courante et la plus visible et elle touche surtout les gens à qui l’on prête du talent, car ce sont eux qui ont le plus à perdre. Mais Neil Fiore identifie aussi d’autres formes d’évitement : la procrastination qui sabote la mise en œuvre d’une demande que l’on ne veut ni refuser ni accepter, la procrastination qui, en nous faisant échouer ou en dégradant le résultat, évite qu’on nous sollicite de nouveau pour une tâche que l’on maîtrise mais que l’on n’aime pas faire … Nos stratégies d’évitement sont nombreuses et très au point 😉
Alors, pour justifier notre évitement, nous nous mentons à nous-mêmes.
On se dit que le moment n’est pas favorable. On se raconte qu’on ne veut pas blesser les sentiments de quelqu’un. On se dit qu’on ne veut pas imposer nos idées aux autres. On se convainc que les choses vont s’arranger. On se dit que les choses vont devenir plus faciles.
Pourtant, dans le fond, on sait bien que c’est faux. Que les choses ne vont pas s’arranger, que ça ne sera pas plus facile.
Alors, parfois, on rassemble la moitié du courage et on a la moitié de la conversation que l’on devrait avoir. On fait la moitié du chemin. On reconnaît les preuves que ça ne va pas mais on se convainc que cette fois, c’est différent. On accepte de revoir la personne qu’on évitait mais on évite soigneusement les sujets qui fâchent. On lance le projet mais sans s’engager vraiment, et en assurant ses arrières.
Et ça, pour le coup, c’est une stratégie foireuse.
Car les demi-efforts ont tendance à empirer les choses, pas à les améliorer. Et lorsque les choses ne s’améliorent pas, cela ne fait que renforcer le fait que nous n’aurions rien dû dire en premier lieu.
Éviter n’est pas mieux, c’est juste plus facile.
Non seulement éviter aujourd’hui rend l’avenir plus difficile, mais il rend aussi presque toujours le présent plus difficile.
L’évitement nous met en tension et cette tension s’évacue à d’autres occasions. Qui d’entre nous n’a pas évité une conversation difficile avec un proche sur un sujet important pour se retrouver embarqué dans une dispute hors de proportions à propos d’un détail insignifiant ? Et bien évidemment la dispute ne concerne pas la chose insignifiante, elle permet juste d’éviter le sujet difficile.
Tout devient plus difficile jusqu’à ce que nous arrêtions d’éviter ce qui nous gêne. Plus vous attendez, plus le coût est élevé.
Il y a quelques années j’ai entendu le cofondateur de MySql explique qu’il y a deux sortes de décisions difficiles : les décisions complexes et les décisions douloureuses.
Les décisions complexes sont celles où l’on a du mal à discerner les options et les conséquences. Il faut les retarder et impliquer plus de gens pour avoir plus d’infos.
Les décisions douloureuses sont souvent assez évidentes et inévitables à long terme mais leurs conséquences sont désagréables alors on les retarde. C’est une erreur, car on paye à la fois le désagrément le jour où l’on est finalement contraint d’agir, mais celui-ci pèse aussi sur tous les mois ou les années pendant lesquels on a retardé l’échéance. La meilleure chose à faire est encore de prendre son courage à deux mains et d’y aller, franco.
Pour aller plus loin
- Vous pouvez lire « The Now Habit », de Neil Fiore, que je crois être le livre le plus complet sur le sujet et qui développe de nombreuses contre-stratégies pour déjouer la procrastination.
- Ou regarder le TEDx Princeton de Nic Voge sur la théorie de la motivation de l’estime de soi (self-worth motivation theory).
- Vous pouvez aussi travailler votre assertivité pour apprendre à dire les choses, par exemple avec «Conversations Cruciales»
- Ou vous pouvez tout simplement engager la toute première action d’un projet longtemps repoussé : envoyer un SMS à une personne pour demander à lui parler, lister les points clés à réviser pour votre examen, faire un plan de votre présentation … Une fois que les choses sont engagées, la procrastination perd son intérêt et nos capacités reprennent le dessus.
Ce texte a été originellement publié dans L’hebdo de Mille Mentors, le petit mail qui fait du bien le dimanche soir : une réflexion comme celle-ci, inspirée par l’actualité de la semaine, puis quelques pépites relevées dans ma veille et une pastille détente. Pour en profiter chaque semaine en avant-première, abonnez-vous.