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Manager, même dans le brouillard

[Cette chronique a d’abord été publiée dans la newsletter du 13 octobre 2024Abonnez-vous]

Vendredi, j’ai eu un de ces moments qui nous rappellent qu’on n’en finit jamais vraiment de découvrir les subtilités du management. 

J’animais un atelier avec ma collègue Maria, face à une centaine de managers d’une organisation en pleine transformation. On avait préparé une fresque pour que chacun se situe vis-à-vis du projet de transformation, avec trois dimensions : clarté des attentes, confiance en ses capacités, et sens ou intérêt du projet. Comme prévu, la salle était éclatée : certains managers s’y retrouvaient totalement, d’autres étaient perdus.

S’en suivait la présentation de quelques clés de lectures sur le management, et une série d’exercices, individuels et en petits groupes. L’idée était de les amener à se poser les bonnes questions sur leur management d’équipe.

Est-ce que les attentes envers mon service ont changé avec la transformation ? Est-ce que chaque membre de l’équipe comprend ce qui est attendu ? Est-ce que chacun est « Sachant-Voulant-Pouvant » vis-à-vis des nouvelles attentes ? (Sachant : est-ce que chaque membre sait clairement ce qui est attendu de lui ? Voulant : est-il motivé, ou du moins d’accord pour accomplir la tâche ? Pouvant : en a-t-il les capacités, que ce soit en termes de compétences, de savoir-être, ou de moyens opérationnels ?) Qu’ai-je besoin de faire pour changer cela ?

Mais on n’avait pas prévu un écueil : ceux qui, dès le départ, n’étaient pas au clair avec le projet de transformation étaient incapables de faire l’exercice. Ils étaient bloqués, comme si le fait de ne pas tout comprendre les empêchait même d’essayer de manager leur équipe.

Ça m’a surpris. 

L’avenir est toujours flou

Pour moi, c’est évident : le management, c’est souvent avancer dans le brouillard. Même quand on a le luxe d’une organisation claire et stable, on ne sait jamais exactement ce que demain nous réserve. 

Comme disait Francis Blanche : « La prédiction est un art difficile, surtout quand elle s’applique à l’avenir ». 

Pourtant, certains managers semblent attendre que tout soit limpide avant de pouvoir avancer. Comme s’il fallait avoir une carte ultra-précise avant de démarrer le voyage.

Illusion dangereuse. Ce n’est pas parce que je sais qu’on va à Rome que je sais à quel moment il faudra bifurquer ou s’arrêter faire de l’essence.

Notre équipe, en revanche, a besoin qu’on lui dise. 

En tant que manager, notre rôle, c’est de donner une orientation, même quand le chemin est incertain.

Alors, bien sûr, on peut aller chercher de l’information, demander des directives ou proposer des projets, mais il y aura toujours des zones d’ombre. Et c’est normal. Même les dirigeants ne savent pas toujours dire ce que chaque équipe devra faire demain—trop de variables entrent en jeu.

Plus ça va, plus je me dis qu’il y a en fait deux types de managers : ceux qui croient que l’avenir est tracé, et ceux qui savent qu’il est flou, donc ouvert, et qui s’efforcent de le construire avec leur équipe. 

Et, ceux-là, j’aime bien leur proposer de piquer une idée dans le framework Scrum. 

En développement logiciel, Scrum propose de travailler par sprints : au lieu de planifier tout le projet d’un coup en prétendant éviter les incertitudes, on avance par petites périodes de quelques semaines avec un objectif stabilisé, puis on réévalue les priorités et on ajuste le plan du sprint suivant.

C’est totalement applicable au management d’équipe.

Apprendre à manager lorsqu’on y voit rien

On ne sait pas où on sera dans trois ans—c’est vrai—mais ça ne nous empêche pas de savoir, et de dire, très précisément ce qu’on va faire dans les trois prochains mois. Pour les six mois suivants, on peut déjà avoir une bonne idée des grandes priorités. Et pour le reste, il y a des éventualités qui se dessinent.

En tant que manager, c’est notre boulot de préparer notre équipe, de libérer des ressources, de précéder les besoins, tout en sachant que tout ne sera jamais parfaitement clair.

C’est comme conduire la nuit : on n’y voit que jusqu’à la limite des phares. Sur une ligne droite, on peut rouler vite. Sur une route sinueuse, mieux vaut ralentir. Notre équipe, elle, a besoin de savoir ce qui est éclairé, ce qui est prévisible. C’est à nous de leur offrir cette visibilité, même partielle, et de faire en sorte que chacun soit « Sachant, Voulant, Pouvant », pour qu’on avance ensemble, étape par étape (ou sprint après sprint).

Attendre que tout soit limpide pour se lancer, c’est s’arrêter sur le bas-côté en attendant que le brouillard se dissipe. Mais le brouillard de ce que l’entreprise devra être et faire demain, lui, ne se dissipe jamais complètement.

Avancer malgré l’incertitude, donner un cadre, et créer des îlots de stabilité dans le chaos—c’est ça notre rôle de chef·fes.


Ce texte a été originellement publié dans L’hebdo de Mille Mentors, le petit mail qui fait du bien le dimanche soir : une réflexion comme celle-ci, inspirée par l’actualité de la semaine, puis quelques pépites relevées dans ma veille et une pastille détente. Pour en profiter chaque semaine en avant-première, abonnez-vous.

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