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Souffrir pour réussir ?

[Cette chronique a d’abord été publiée dans la newsletter du 11 juin 2023Abonnez-vous]

La semaine dernière, Clem m’a dit un truc qui m’a fait réfléchir.

Clémentine, c’est une des adhérentes de ma section au CJD. Quand on se retrouve entre dirigeants/copains au CJD il est d’usage de prendre des nouvelles du dirigeant, personnellement, dans un premier temps, avant de demander comment va sa boîte.

Ça permet de garder à l’esprit que nous ne sommes pas uniquement définis par notre entreprise et son succès ou son échec.

Ça aide à s’en rappeler mais on n’échappe pas à une forme de porosité. Quand la dirigeante traverse une passe difficile à titre personnel, elle met moins d’énergie dans son boulot et son entreprise s’en ressent. Et réciproquement, quand le business va bien, ça se reflète sur son moral, son sommeil et sa santé, et tout semble aller mieux d’un seul coup.

La souffrance inévitable de l’entrepreneur..?

Bref, après m’avoir donné de ses nouvelles, Clémentine conclut par un « Il faut souffrir pour réussir », que j’ai souvent entendu, au CJD ou dans l’entreprise.

Il y a une forme de vérité dans cette expression, car on ne peut pas arriver à un sentiment d’accomplissement si on ne réussit pas quelque chose qui semblait difficilement atteignable au départ.

Donc, pour réussir il faut dépasser nos limites et nos croyances, apprendre, sortir de sa zone de confort.

Sortir de sa zone de confort, ça implique de l’inconfort, apprendre ça demande une part d’effort ou de souffrance, qui peut justifier le proverbe.

Et, en même temps, je me demande : si on en bave tant que ça, est-ce qu’on peut vraiment appeler ça une réussite ?

D’autant qu’en tant qu’entrepreneur, mais aussi dans tellement d’autres domaines, le sport, la musique, le dessin, la connaissance…, l’horizon recule au fur et à mesure qu’on s’en approche (j’en avais fait une chronique il y a quelques mois).

À quel moment, donc, aura-t-on réussi ?

Et s’il faut souffrir pour progresser et que l’on n’atteint jamais la ligne d’arrivée, est-ce qu’on est condamnés à en ch… toute sa vie ? Pas très encourageant comme perspective.

Le « flow », la solution pour ne plus souffrir ?

On pourrait chercher du secours dans les travaux de Mihaly Csikszentmihalyi sur la théorie du flow : quand on est entièrement absorbé par une activité qui nous motive intrinsèquement, sur laquelle on exerce notre puissance ou notre contrôle, qui est un défi mais que l’on peut remporter et où l’on se voit progresser alors on bascule dans l’état de flow.

Le Flow c’est l’expérience optimale où les émotions sont au service de l’apprentissage, où l’on est totalement immergé dans ce qu’on fait, on perd la conscience de soi et du temps et on devient ce que l’on fait. On est pure performance.

C’est l’état de grâce où tout est facile et coule naturellement, cet état que décrivent de nombreux musiciens pendant les concerts et qui est rapidement addictif.

Donc, on pourrait se dire qu’il n’est pas nécessaire de souffrir pour réussir, il suffit de surfer sur l’état de Flow.

C’est peut-être possible, en théorie. Csikszentmihalyi le pense, en tous cas, il l’évoque dans ses mémoires. Pour lui cela implique d’investir chaque moment, chaque petite tâche, chaque corvée, de l’intention d’en faire un moment d’apprentissage et d’exécution parfaite : s’employer à balayer harmonieusement la cours, faire sa compta avec grâce, trouver de la beauté dans les réunions pénibles.

C’est une piste, sérieuse.

Je réalise en me relisant que c’est sans doute ce qui m’animait quand on a écrit les valeurs de Goood et que j’y ai introduit celle-ci : « Mettre toute son énergie à faire des choses qui le méritent et à les faire bien ».

Ça aurait été plus court de dire « Rechercher l’état de flow en tout » 😉

Mais en fait, réussir, c’est quoi ?

Cela dit, même si le flow peut abolir ou transcender la souffrance de l’apprentissage, est-ce que ça suffit à faire une réussite ?

Je vous propose de prendre le problème autrement : pourquoi on veut réussir, quitte à souffrir pour ça ? Pour être heureux. En tout cas, parce qu’on pense qu’on sera plus heureux quand on aura réussi.

Cette question n’est pas neutre. D’abord parce que ce que nous considérons comme une « réussite » est à la fois personnel et multidimensionnel et qu’elle se réduit difficilement à l’accomplissement d’un objectif.

Prenons deux personnes qui ont fait des choix de vie très différents : Benjamin a fait une grande école de commerce puis intégré une prestigieuse firme de fusion et acquisitions, il gagne des fortunes et possède une belle maison. Il a peut-être le sentiment d’avoir réussi professionnellement et se sent pourtant un peu creux à côté de son ami d’enfance, Sylvain, qui a fait des études de médecine puis a choisi de partir en Afrique pour Médecins Sans Frontières. Sylvain, à son tour, est à la fois pleinement heureux de son travail et ressent parfois une pointe de regret quand il voit le train de vie de son ami et tout ce que celui-ci peut offrir à ses enfants.

Cet exemple, fictif, le montre bien : aucun projet professionnel ne peut, à lui seul, être une source de réussite complète et universelle.

Ce qui compte c’est de construire la réussite qui fait notre bonheur. Et, là, j’ai envie d’invoquer Pierre Teilhard de Chardin.

Aller au bout de ses capacités

Ce jésuite qui fut aussi un grand géologue et paléontologue a également fait œuvre de philosophe et il a notamment écrit deux très jolis textes regroupés dans un petit volume : « Sur le bonheur et sur l’amour ».

Le bonheur, selon Teilhard de Chardin, c’est d’abord d’aller au bout de ses capacités. C’est l’enfant qui court de toutes ses forces, qui résout une énigme difficile, qui est fier de montrer qu’il a retenu tous les départements français. Le bonheur prend sa source dans notre dépassement, notre croissance. Il se conquiert, c’est une lutte.

On rejoint ici Csikszentmihalyi et le flow. Mais Pierre Teilhard de Chardin va plus loin : il nous dit que le bonheur que l’on ressent à exercer sa puissance est démultiplié lorsqu’on la met en œuvre avec les autres, pour les autres, par amour.

Mettre toutes ses capacités pour aider les gens qu’on aime, voilà une forme supérieure de bonheur nous dit-il.

Réussir à être heureux

Et on peut aller encore plus loin, en mettant ces actions au service d’une cause qui nous dépasse et nous englobe. Pour lui qui est jésuite c’est l’amour de Dieu mais il reconnaît la même transcendance chez les militants politiques ou syndicaux, les acteurs des mouvements sociaux ou … les entrepreneurs.

Voilà alors, peut-être, la clé de notre engagement : faire de notre entreprise le lieu d’expression de nos meilleures capacités, les mettre au service de gens qu’on aime, et donc choisir d’aimer ses clients et ses collaborateurs, et inscrire le tout au service d’une cause plus grande que nous et qui sera la mission de l’entreprise.

Nos efforts, nos défis auront alors un tout autre sens et une autre saveur, et il ne sera peut-être plus question de souffrir pour réussir.

Parce qu’au bout du compte, le succès est fugitif, il s’éloigne quand on essaie de le capturer. Peut-être que la véritable réussite, c’est de trouver le bonheur sur le chemin que l’on emprunte.

L’été s’approche et, avec lui le temps des vacances qui permettent le repos et le recul. Je vous invite à en profiter pour réfléchir à ce qui vous donnera envie de reprendre.

Car, au bout du compte, le but n’est pas de réussir pour être heureux mais de réussir à être heureux.

Pour aller plus loin :

De toute évidence je ne peux que vous recommander de lire Teilhard de Chardin, Sur le bonheur, sur l’amour.

et

Flow: The Psychology of Optimal Experience, de Mihaly Csikszentmihalyi: C’est le livre de référence sur le concept du « flow ». Csikszentmihalyi explique en détail sa théorie et comment elle peut être appliquée dans divers domaines de la vie.

mais aussi ce livre audio qui est un enregistrement d’une série d’entretiens où il raconte son parcours et partage ses idées sur le flow et la manière de le trouver dans le quotidien.

Je vous partage également un article, paru il y a presque 20 ans dans la Harvard Business Review, sur la réussite durable, que j’ai trouvé intéressant. Les auteurs mettent en évidence quatre composantes irréductibles de la réussite durable : le bonheur (sentiment de plaisir ou de satisfaction à l’égard de sa vie) ; l’accomplissement (réalisations qui se comparent favorablement à des objectifs similaires poursuivis par d’autres) ; l’importance (sentiment d’avoir eu un impact positif sur des personnes qui vous sont chères) ; et la transmission (une manière d’établir vos valeurs ou vos réalisations afin d’aider d’autres personnes à réussir à l’avenir). Il développent un modèle, le kaléidoscope, pour trouver ces 4 facteurs dans sa vie.
Success That Lasts


Ce texte a été originellement publié dans L’hebdo de Mille Mentors, le petit mail qui fait du bien le dimanche soir : une réflexion comme celle-ci, inspirée par l’actualité de la semaine, puis quelques pépites relevées dans ma veille et une pastille détente. Pour en profiter chaque semaine en avant-première, abonnez-vous.

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