[Cet article a été initialement publié dans la newsletter du 13 février 2022]
Mi janvier, mon téléphone est tombé en panne.
Plus exactement il s’est bloqué parce qu’il était plein (!). Je l’ai déposé chez un réparateur et j’en ai profité pour changer la batterie. Opération normalement rapide mais, par la suite d’un concours de circonstances malheureuses j’ai été privé de mon appareil pendant 4 jours.
Une forme de détox digitale instructive.
Commençons par l’évidence : c’est quand quelque chose nous manque que l’on mesure sa valeur.
En l’occurrence, mon « téléphone » ne m’a pas manqué pour téléphoner, et je crois n’avoir manqué qu’un seul appel : celui du technicien qui voulait confirmer le devis de réparation du téléphone qu’il tenait entre ses mains ! Un génie le gars ?
(Et, sinon, je me demande pourquoi on continue d’appeler cet objet un «téléphone» ?)
En revanche ce bidule m’a manqué pour écouter des podcast en marchant, ou dans les transports, pour profiter des temps creux pour trier mes mails, pour chercher la traduction d’un mot anglais ou l’orthographe d’un mot français, comme chronomètre et comme alarme… Bref comme assistant personnel connecté.
Mais tout ça est fort banal et ne mériterait pas cet édito, si un «incident» ne m’avait fait réfléchir à l’organisation du travail dans nos entreprises.
Le jeudi soir, à la veille de récupérer mon téléphone, je me suis rendu à une soirée du CJD à Aubervilliers. Ne pouvant pas compter sur mon téléphone pour me repérer une fois sur place, j’ai dû anticiper mon déplacement et vérifier à l’avance l’adresse, la station de métro et le chemin.
Légèrement en retard, j’ai enchaîné les correspondances jusqu’à la station Front Populaire, puis je me suis dépếché de sortir de la station et j’ai suivi le plan que j’avais mémorisé : tout droit, deuxième à droite, première à gauche puis tout droit jusqu’à une place et ensuite légèrement à droite.
Sauf que j’avais oublié de vérifier si la station avait plusieurs sorties et que je n’avais pas mémorisé le nom des rues à prendre, uniquement l’adresse d’arrivée et le plan.
Je ne me suis donc pas rendu compte que je faisais les bons mouvements… dans la mauvaise direction.
Au bout d’un moment, quand même, j’ai réalisé que j’étais perdu.
Je vous rassure, tout s’est bien fini.
Malgré l’heure tardive, j’ai fini par croiser un gars sympa à qui j’ai demandé mon chemin. Il a sorti… son téléphone et utilisé le GPS pour me remettre sur le bon chemin. Je suis juste arrivé avec une bonne demi-heure de retard.
Cela dit, après coup, j’ai réalisé que cette expérience est tout à fait analogue à ce que vivent de nombreuses équipes projet, voire quelques équipes de direction : on analyse la situation, on détermine un objectif et un plan, puis on suit le plan sans aucun moyen de vérifier s’il colle avec la réalité, jusqu’au moment où le décalage entre la théorie du plan et la réalité sous nos yeux nous oblige à admettre qu’on est perdu.
Dans la vie courante, le téléphone nous permet de chercher des informations et le GPS nous dit précisément où on est et comment revenir dans la bonne direction, quitte à avoir un peu de retard, mais dans nos entreprises, qu’est-ce qui remplace le téléphone ? Les comités de projet ? Les revues stratégiques ? Je n’en suis pas si sûr.
Trop souvent la mesure du progrès c’est la conformité au plan.
Or, attention, c’est ce qui m’est arrivé dans les EMGP : j’étais super conforme au plan … et super dans les choux.
C’est la grande force des organisations agiles : se donner de grandes ambitions, certes, mais se fixer de tout petits objectifs, livrables, concrets.
Revenir sur le terrain chaque deux ou trois semaines ne permet pas de se bercer d’illusions pendant longtemps lorsqu’on fait fausse route. Et pas besoin de calculs compliqués pour savoir si le projet avance : le module est livré et il fonctionne, ou pas.
Et c’est la même chose pour le codir : regarder le business plan, c’est bien, mais ça ne remplace pas une confrontation fréquente au réel, au terrain : ce que les clients reçoivent, ce qu’ils en pensent, ce qui se passe dans l’usine, ce que vivent et disent les collaborateurs.
C’est ça la réalité de comment va l’entreprise, et c’est ça qu’on doit regarder. Pas juste notre Excel.
Ce texte a été originellement publié dans L’hebdo de Mille Mentors, le petit mail qui fait du bien le dimanche soir : une réflexion comme celle-ci, inspirée par l’actualité de la semaine, puis quelques pépites relevées dans ma veille et une pastille détente. Pour en profiter chaque semaine en avant-première, abonnez-vous.