[Cette chronique a d’abord été publiée dans la newsletter du 28 mai 2023. Abonnez-vous]
« Hello Damien, je cherche dans les articles Mille Mentors quelque chose pour les managers de ma boîte qui n’en peuvent plus de ces réunions longues, nombreuses et non préparées. Est-ce que tu as déjà fait une chronique sur les réunions ? »
Ah, non, en effet. Je pourrais écrire quelque chose. Je devrais, peut-être.
Des outils devenus maux
C’est frappant de voir comment les deux outils qui devaient nous permettre de gagner du temps – les réunions et les e-mails — sont devenus en trente ans les deux principaux maux qui nous pourrissent la vie au travail.
Bon, allez, je ferai sans doute un jour une chronique sur les e-mails, mais attaquons-nous déjà aux réunions.
C’est un triste constat et un vrai problème : les agendas des managers sont saturés de réunions, et celles-ci sont rarement efficaces. Avec un effet pervers : comme on est saturé, elles sont mal préparées, et comme elles sont inefficaces, elles en appellent d’autres, qui contribuent à empirer la situation.
Une vie de consultant a ceci d’intéressant qu’elle permet de visiter des dizaines d’entreprises différentes chaque année. On voit très vite apparaître les motifs récurrents et les vraies singularités.
Former aux réunions efficaces ?
Il y a une dizaine d’années, je m’étais posé la question de l’opportunité de construire une offre pour les entreprises autour de la conduite de réunions. J’avais assemblé une jolie collection de photos de chartes et de règles, joliment mises en forme et affichées dans toutes les salles de réunion des tours de La Défense. Ce qui me frappait c’est que ces règles n’étaient jamais appliquées.
Lorsque nous avions interrogé quelques DRH, leur réponse était à peu près toujours la même : « on connaît bien le problème, et il revient chaque année dans le top 3 des choses dont se plaignent les managers, et on a des formations vachement bien au catalogue, mais personne ne s’inscrit jamais. »
Donc la solution n’est pas à rechercher du côté de la formation. En tous cas pas pour enseigner aux gens les principes de base, qui sont écrits sur les chartes et que tout le monde connaît : commencer à l’heure, faire un ordre du jour, et le suivre, s’écouter jusqu’au bout, faire un relevé de décision …
Rien qu’à retracer ici cette énumération de poncifs j’ai les sourcils qui se haussent tout seuls.
La solution n’est donc pas non plus du côté des règles de réunion.
Non, je crois que l’origine du problème c’est nous, les participants et les organisateurs.
Le fond du problème: nous-mêmes
Ou plutôt la facilité à laquelle on se laisse aller en organisant des réunions comme si le simple fait de prendre date dans les agendas allait suffire à régler le problème, notre passivité en réunion et notre complaisance vis-à-vis de cette situation dont tout le monde se plaint pourtant.
Jacques Antoine Malarewicz, lorsqu’il intervenait chez Goood il y a quelques années, commençait toujours par écrire au tableau son mantra « Je peux facilement me plaindre d’une situation que je contribue à créer ou à entretenir et dont je tire, par ailleurs, des bénéfices »
J’ai l’impression que c’est un peu ce qui se passe ici.
C’est confortable de se plaindre des réunions, surtout qu’il y a toujours un coupable facile : les autres, ceux qui organisent, ceux qui ne participent pas, ceux qui sont absents, ceux qui n’ont pas préparés…
Sauf que nous sommes les autres des autres.
Si on veut que ça change, il n’y aura pas de solution miracle apportée par un outil ou une méthode. La baguette magique est en nous : c’est nous qui devons prendre la décision de changer nos comportements vis-à-vis de la réunion.
Trois changements primordiaux pour des réunions efficaces
À l’échelle d’une grande entreprise, ou de la société, ça sera difficile car on ne peut pas décréter le changement pour tout le monde, mais on peut en revanche prendre cette décision pour soi ou avec son équipe.
Telles que je vois les choses, il y a trois changements à opérer. Je les ai articulé de telle façon qu’on peut commencer par se les appliquer et que leur effet sera d’autant plus grand que nous serons nombreux à faire de même :
Premier changement : Zéro facilité.
Arrêtons de répondre oui par défaut à une invitation de réunion.
C’est sans doute le changement le plus transformateur.
Notre temps est ce que nous avons de plus précieux et c’est LA ressource critique pour atteindre nos objectifs. Pourquoi devrions nous laisser les autres décider de l’usage que nous en faisons ?
Imaginez que je débarque à n’importe quel moment de la semaine dans votre bureau pour m’assoir sur votre chaise et utiliser votre ordinateur pendant 1h afin de faire avancer mon projet. Et imaginez que nous soyons des dizaines chaque semaine à faire de même. Quand et comment pourriez-vous travailler ? Le soir, quand tout le monde est parti ? C’est insensé et c’est pourtant ce qui se passe avec nos agendas.
Je suggère de passer de « oui » comme réponse par défaut à « non » ou, en tout cas à être beaucoup plus restrictif, et à commencer par demander « pourquoi ? ». Pourquoi cette réunion, à quoi elle va servir, qu’est-ce qu’on va y faire, comment ça va se passer, pourquoi vous avez besoin de moi ?
Veillez à le faire en tête à tête ou à l’oral (l’écrit tend à durcir les conversations) et expliquez bien à votre interlocuteur que ce n’est pas contre lui et son projet mais que vous êtes surchargé·e et que vous devez être sélectif·ve dans vos choix d’agenda, donc vous cherchez à savoir là où vous aurez le plus d’utilité.
Ça aura au moins trois avantages :
1. Ça va alléger votre agenda. Vous allez découvrir qu’il y a plein de réunions où vous n’avez pas besoin d’être, où on vous invite par réflexe ou par déférence, d’autres où quelqu’un de votre équipe serait plus utile et d’autres encore où vous avez juste besoin d’un rapide compte-rendu.
2. Ça va obliger l’organisateur de la réunion à se poser les bonnes questions pour préparer sa réunion. Il/elle invitera moins de monde à une réunion mieux préparée.
3. Si vous êtes le/la cheffe ou que votre position vous permet d’influencer le système, ça va autoriser les autres à faire de même et accélérer le changement.
Deuxième changement : Zéro complaisance.
Arrêtons de subir des réunions inutiles.
Même en appliquant la règle zéro facilité, vous allez tôt ou tard vous retrouver dans une réunion inutile, soit parce qu’elle a été mal préparée, soit parce que les personnes clés sont absentes ou que l’animateur ne s’en sort pas et que la réunion tourne au café du commerce.
Le réflexe classique c’est d’ouvrir son ordinateur et de commencer à traiter ses mails. C’est la pire approche, même si on le fait tous. Sans doute parce que c’est la moins confrontante et que nous sommes tous un peu lâches, mais c’est irrespectueux vis-à-vis de l’organisateur et des participants, c’est improductif et ça ne permet pas d’améliorer les choses.
La bonne approche, je crois, c’est de dire les choses, avec tact : « Écoutez, j’ai l’impression qu’on tourne en rond. Il manque Marion (ou: on a un désaccord entre Raphaël et Valérie qui ne semble pas pouvoir se régler ici), je propose qu’on arrête la réunion là ; Jean-Pierre, désolé, mais je crois qu’il va falloir préparer le sujet plus en détails et reprendre date. »
Troisième changement : Zéro improvisation.
Apprenons à organiser et animer des réunions et donnons-leur l’importance qu’elles méritent.
Il y a un truc qui m’a toujours frappé, c’est le coût des réunions inutiles ou inefficaces. À vue de nez j’estime à 50€ le coût horaire de la plupart des salariés. Un manager participe en moyenne à 12 réunions par semaine, et celles-ci sont jugées improductives à 70%.
Ça veut dire qu’on gâche près de 600€ par semaine et par personne ! Multipliez ça par le nombre de personnes dans votre entreprise et vous allez mesurer l’urgence qu’il y a à professionnaliser un peu la préparation et l’animation de réunions.
L’idéal c’est de pouvoir faire appel à un professionnel du sujet, mais tout le monde n’a pas de facilitateurs sous la main, et on ne peut pas toujours les solliciter. Remarquez, ça ferait un bon moyen de limiter le nombre de réunions 😉
Donc, le plus sage c’est d’apprendre à organiser et animer les temps collectifs.
Je ne vais pas me lancer ici dans un cours sur le sujet, ça serait trop long. C’est pourtant un sujet que je maitrise pas mal et j’ai commencé à prendre quelques notes en préparant cette chronique.
Si ça vous intéresse, faites-moi signe (damien@millementors.fr) et je pourrais faire une masterclass ou un guide.
Réfléchir au modèle de la réunion pour mieux l’organiser
En attendant, j’attirerai simplement votre attention sur un point :
Parler d’organiser une réunion comme si c’était quelque chose de standard, c’est comme parler de préparer un repas. Ça ne dit rien de ce qu’il faut faire concrètement.
Et comme il y a différents types de repas, depuis le pique-nique jusqu’au banquet, il y a différents types de réunions et autant de structures d’animation et de questions à poser en préparation.
On n’organise pas de la même façon une réunion d’information, une prise de décision, un point de suivi de projet, un atelier de réflexion sur un problème, ou le lancement d’un projet. On n’invite pas les mêmes personnes, on ne prévoit pas les même séquences, ni le même temps, … etc.
Et on peut aussi se constituer, avec l’aide de facilitateurs ou de coachs agiles, une bibliothèque de modèles de réunions. Ça ne sera pas parfait, mais ça sera 10x mieux que l’improvisation qui domine.
Et si vous voulez qu’on en discute, faites-moi signe, on s’organisera une petite réunion 😉
Pour aller plus loin :
- Un cri d’alarme : Les managers participent à 12 réunions en moyenne par semaine, et c’est trop
- Une question : qu’est-ce qu’une réunion efficace ?
What is an effective meeting?
- Une vieille vidéo, un peu cringe, de votre serviteur, sur la préparation de réunions : Comment organiser des réunions efficaces ? La méthode BOROMIR
- Une proposition de Cal Newport : inverser la logique et sanctuariser des créneaux de réunion récurrents. Un nouveau sujet ? Attendez le prochain créneau plutôt que de chercher une date.
Had it with email? Give personal office hours a try
- Une chronique de Matthieu Stefani en défense de la réunion : Humanité vs Inbox-Zéro