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Pourquoi écrire son «Manuel de moi» ?

[Cette chronique a d’abord été publiée dans la newsletter du 9 juin 2024Abonnez-vous]

Jeff Bezos est un patron haut en couleurs et le web regorge d’anecdotes sur son style de management. 

Le fondateur d’Amazon est réputé pour son style confrontationnel, impatient et brutal. Il part régulièrement dans ce que ses collaborateurs appellent des « crises de nerfs », qui se traduisent en saillies du genre « Je me demande si c’est de la paresse ou de l’incompétence » ou « Si j’entends encore cette idée, je vais devoir me suicider ». 

Face à ces nombreux témoignages, on peut avoir deux réactions : 

On peut y répondre avec ses émotions. On sera sans doute nombreux à trouver ça choquant, inutilement agressif et peut-être même contre-productif. Et pourtant, plein de gens qui travaillent avec lui s’épanouissent dans cet environnement. Ils trouvent généralement que Jeff Bezos a raison lorsqu’il rejette une idée avec désinvolture ou qu’il donne la priorité à une plainte client plutôt qu’à la gentillesse.

On peut aussi se demander s’il a raison. Après tout ce gars a quand même construit la plus grande entreprise de commerce au monde. Ça invite à se demander si c’est grâce à, ou malgré, son style managérial peu conventionnel.

Sauf que mon propos aujourd’hui n’est pas d’analyser, de critiquer ou de valoriser le style de management de Jeff Bezos. 

Car Jeff Bezos, comme Steve Jobs, Bill Gates ou Elon Musk a un mode de management remarquable. Au sens premier du terme, un mode de management qui sort de l’ordinaire et que l’on remarque. 

Ça signifie que les gens qui travaillent avec lui sont prévenus par la rumeur publique et s’attendent à ce qui va se passer. 

En 2011, un ex-employé d’Amazon, Steve Yegge, a publié un récit de son passage chez Amazon :

« Un jour, j’ai dû faire une présentation à Jeff. J’avais l’impression… Je ne sais pas, peut-être la foule qui vous entoure quand vous allez rencontrer le président. Les gens vous donnent des conseils de dernière minute, vous souhaitent bonne chance, vous font passer devant des régiments d’administrateurs et d’agents de sécurité. On se croirait dans un film. Un film de gladiateurs.

Heureusement, j’avais passé des années à observer Jeff en action avant que mon tour n’arrive, et je m’étais préparé d’une manière inhabituelle. Ma présentation a été un succès. Ensuite, tout le monde m’a tapé dans le dos et m’a félicité comme si je venais de réussir une passe décisive ou quelque chose du genre. Un vice-président m’a dit en privé : « Les présentations avec Jeff ne se passent jamais comme ça : les présentations avec Jeff ne se passent jamais aussi bien. 
»

Mais nous ne sommes pas Jeff Bezos. 

Je veux dire que nous ne sommes pas une star du business dont on accepte des comportements contestables en raison de ses succès incontestables. 

En revanche, comme Jeff Bezos, nous sommes sous surveillance constante. 

Nos salariés, et tous ceux qui dépendent de nos décisions, scrutent à longueur de journée nos moindres faits et gestes pour tenter de décrypter la logique, les intentions et l’humeur du/de la chef-fe. 

Lorsque j’étais en école d’ingé, le cours de gestion de projet de troisième année comportait un chapitre sur les différents types de patrons (la comète, le besogneux, l’analyste, …) et la manière de s’y prendre avec eux. 

C’est d’ailleurs un sujet qui fait encore florès sur les réseaux sociaux : «7 différents types de leaders, et leur logique», «comment se faire bien voir de son patron», «les 4 types de patrons et comment les gérer»… la quantité d’articles de ce genre est révélatrice du défi que nous posons à nos collaborateurs.

Alors pourquoi laisser les gens deviner ce que nous attendons, ce qui nous irrite ou comment s’y prendre avec nous ? De toute façon, comme chef-fe on impose son style ; autant que ça soit facile pour les autres de s’y adapter. 

En préparant une vidéo sur le DISC pour la chaîne Youtube de Mille Mentors, j’ai réalisé qu’on utilise souvent les modèles de comportement pour tenter de décrypter les autres, alors qu’il serait plus utile, et sans doute plus exact, de s’en servir pour expliciter auprès des autres nos propres modes de fonctionnement et limites. 

Nous ne sommes pas livrés avec une notice d’utilisation, mais rien ne nous empêche de l’écrire.

C’est l’exercice que je vous propose aujourd’hui. Ouvrir un doc et commencer un manuel de vous.

Vous pouvez l’intituler « Quelques choses à savoir pour travailler efficacement avec moi » et y lister tout ce qui permettra à votre équipe d’établir une relation productive avec vous : 

  • Est-ce que je préfère aller droit au but ou commencer la discussion par un peu de small talk relationnel ? 
  • Les canaux de communication que je préfère : slack, sms, téléphone ou mail ? Pour quel type d’échange et dans quelles circonstances ? 
  • Comment je réfléchis et comment je prends mes décisions. De quoi j’ai besoin comme information. 
  • Quand je fais une demande, de quel type de suivi et à quelle fréquence ai-je besoin ?
  • Quels sont mes critères pour juger de la qualité d’un livrable ? 
  • Quelle aide est-ce que j’attends de mon équipe ? 
  • Est-ce que je préfère qu’on m’offre spontanément de l’aide, ou uniquement quand je le demande ? 
  • Ce qui me met en tension, ce à quoi je réponds mal. Par exemple moi c’est le chantage, et tout ce qui y ressemble, même vaguement.
  • Mes points faibles, les choses qui pourraient m’échapper et auxquelles mon équipe devra être vigilante.
  • Les choses que j’aime bien faire, et dont je n’aimerai pas qu’on me prive en voulant m’aider.
  • Quelles sont les types d’informations que je veux avoir ? Quelles sont les décisions que je veux valider moi-même ? Comment est-ce que je souhaite que soit prises les décisions auxquelles je ne participe pas ? Qu’est-ce qui doit alerter mon équipe et la pousser à m’alerter aussi ?

Faites-en un document vivant, qui se lit avec plaisir.

Soyez vrai mais soyez léger. Incluez des anecdotes (même embarrassantes, elle sont plus marquantes) et n’hésitez pas à vous décrire vos travers et défauts : de toute façons vos collaborateurs les connaissent aussi bien que vous et les assumer leur rendra la tâche un peu plus facile.

Rappelez-vous aussi qu’un peu d’humour et d’autodérision font beaucoup pour faire accepter vos demandes les plus pénibles.

Dernier conseil : vous pouvez partager ce doc directement avec votre équipe, mais ce n’est pas obligatoire. L’écrire vous permettra déjà de prendre conscience de vos particularités et d’en parler avec vos collaborateurs, par exemple en 1à1.

Bonne rédaction. Vous allez voir, c’est facile et sympa d’écrire sur soi, pour soi.

Pour aller plus loin:

Ce texte a été originellement publié dans L’hebdo de Mille Mentors, le petit mail qui fait du bien le dimanche soir : une réflexion comme celle-ci, inspirée par l’actualité de la semaine, puis quelques pépites relevées dans ma veille et une pastille détente. Pour en profiter chaque semaine en avant-première, abonnez-vous.

PS : Cette chronique bimensuelle est gratuite. Si vous lui trouvez de la valeur, vous pouvez m’offrir un café (ou plus 😉 ) sur Tipee.

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