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Exigeant mais pas autoritaire

[Cette chronique a d’abord été publiée dans la newsletter du 22 janvier 2023Abonnez-vous]

« Un jour il faudra que tu fasses une chronique sur les chefs qui confondent être exigeant avec être cassant » me déclare un soir Charlotte, ma fille, en rentrant du boulot.

Et c’est vrai que j’observe souvent des situations où le chef (la cheffe, dans le cas de ma fille) semble confondre l’autorité, qui est nécessaire et même bienvenue, avec une forme de violence, le plus souvent verbale (même symbolique, celle-ci reste réelle).

C’est paradoxal.

Car si l’autorité devient autoritarisme c’est parce qu’elle ne fonctionne pas, ou qu’elle craint de ne pas être suffisante.

Or, justement, c’est cette dérive de l’autorité qui la rend absolument inefficace.

L’autorité se suffit à elle-même

Je m’explique :

Il y a plein de formes d’autorité : on peut tirer son autorité de la responsabilité que l’on porte, on peut la tenir d’une délégation par une autorité supérieure (c’est la hiérarchie, étymologiquement « pouvoir du sacré »), on peut avoir une autorité qui vient de ses connaissances, ou encore de sa personnalité (c’est le charisme).

Quelle qu’en soit la source, l’autorité c’est, in fine, le pouvoir de décider pour les autres, d’imposer sa volonté ou son opinion.

Avoir de l’autorité se suffit donc à soi-même.

L’autorité n’a pas besoin d’être soutenue par la violence.

À moins de la sentir fragile, et menacée.

Dans la série « Fondation », d’Isaac Asimov, les différents héros répètent souvent que « la violence est le dernier refuge de l’incompétence ».

C’est bien ce qui est à l’œuvre ici : être incompétent c’est littéralement ne pas avoir le pouvoir de.

Etre autoritaire mène à plus d’échecs que de résultats

Revenons à la cheffe de ma fille : si elle pique des colères c’est parce qu’elle ne parvient pas à obtenir de ses collaborateurs les résultats qu’elle attend.

Or c’est exactement son rôle de manager : obtenir des résultats.

Elle est donc en échec de management. Et, comme c’est quotidien, cela montre son incompétence comme manager.

J’imagine que, plus ou moins confusément, elle le sent et que ça la met en colère. Elle crie sur ses employées en espérant peut-être que cela va les activer.

Or nous savons tous que cela ne marchera pas.

Fuite, lutte, inhibition: aucune n’est une solution

Face à l’agression, ou au stress, Henri Laborit a montré que notre nature animale ne connaît que trois réponses : la fuite, la lutte ou l’inhibition.

Aucune de ces trois réactions n’est celle dont nous aurions besoin.

L’ironie tient à ce que le ou la cheffe qui se montre brutal et agressif pour asseoir son autorité nous rejoue la fable de l’arroseur arrosé.

Car c’est parce qu’il craint ou se sent agressé par l’action inappropriée de ses collaborateurs qu’il réagit à son tour par l’agression.

Ou alors nous observons ce que prédit le modèle d’Henri Laborit : d’autres chefs vont, quant à eux, réagir par la fuite ou vont être tétanisés par le problème.

On a vu que l’autorité ne doit pas être violente pour être efficace. La fuite et l’inaction ne le sont pas plus.

Travailler sur sa légitimité et son exigence pour mieux manager

Pour contrer ce mécanisme pervers, il faudrait donc conforter sa propre sécurité afin de pouvoir exercer son autorité sans violence.

Il faut au premier rang que le ou la cheffe soit à l’aise avec sa posture d’autorité. Qu’il ou elle en reconnaisse pleinement la légitimité et la solidité.

Donc, parfois, qu’il ait pu travailler en amont ses réponses, dans le cas où celle-ci serait contestée.

Il faut ensuite pouvoir être exigeant : être en capacité de formuler clairement ce qui est attendu, ce qui est impératif et ce qui est tolérable.

Ce n’est pas si facile.

J’ai souvent du mal à dire précisément ce que je veux, alors même que je sais reconnaître précisément ce qui ne me va pas.

La solution peut alors être dans l’exigence sur le processus plutôt que dans le résultat (« vous me faites valider les courriers avant de les envoyer »).

Cela dit ça ne peut être qu’une solution transitoire, dont l’objectif conscient est d’apprendre à reconnaître ce qui est important, pour pouvoir le formuler pour la suite. Sinon, à quoi bon avoir une équipe ?

L’amitié est hors-sujet

Il faut aussi vouloir être exigeant, vouloir exercer son autorité. Il y a là souvent tout un travail à faire sur les représentations intimes du rôle de chef.

Paradoxalement ce sont souvent des managers qui projettent une forme de violence dans l’exercice de l’autorité, et qui ne l’assument pas car ils veulent avoir de bonnes relations avec leur équipe, qui se retrouvent pris en défaut d’autorité et amenés à exercer leur mandat de manière autoritaire.

J’ai déjà entendu plusieurs fois, dans des tables rondes ou des conférences, des phrases comme « si vous voulez être aimés, ne devenez pas manager, allez sur Tinder ».

C’est drôle mais c’est faux.
(On trouve pas l’amour sur Tinder. ?)

Blague à part, c’est un contresens, et une contre-vérité.

Ce qu’on devrait dire aux aspirants managers c’est « Votre rôle comme chef n’est pas de vous faire des amis ».

Ce qui ne veut pas dire que le job consiste à se faire détester ; simplement que l’amitié est hors sujet.

Le sujet du manager c’est la capacité de l’équipe et de chacun à bien faire son travail.

Et pour ça c’est essentiel de poser une exigence juste.

Assumer son autorité pour être plus exigeant… et bienveillant

S’il n’y a pas une expression forte et constante des attendus, s’il n’y a pas une ligne claire entre le bon et le mauvais boulot, il ne peut rester qu’un chef qui manage en fonction de ses humeurs ou de ses relations affectives avec les uns et les autres.

Deux excellents moyens de désengager tout le monde, d’obtenir des résultats médiocres et inconstants, de se sentir en danger comme chef et d’enclencher la boucle vicieuse de l’autoritarisme.

Assumer son autorité et poser son exigence, au contraire, ça permet deux choses essentielles et appréciées par son équipe : l’autonomie et la bienveillance.

L’autonomie car plus le cadre est clair et assumé plus je peux m’organiser avec mes propres contraintes et capacités en sachant ce qu’il faut produire pour être au rendez-vous des attentes.

La bienveillance car cette exigence, qui vient d’une autorité fondée, s’exerce sur mon travail et non sur ma personne.

Pour paraphraser Stéphane Moriou :

Soyez exigeants avec ce que les gens font et bienveillants avec ce que les gens sont.


Ce texte a été originellement publié dans L’hebdo de Mille Mentors, le petit mail qui fait du bien le dimanche soir : une réflexion comme celle-ci, inspirée par l’actualité de la semaine, puis quelques pépites relevées dans ma veille et une pastille détente. Pour en profiter chaque semaine en avant-première, abonnez-vous.

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