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Apprendre à apprendre

[Cette chronique a d’abord été publiée dans la newsletter du 5 mars 2023Abonnez-vous]

 » When you need to learn quickly, learn from others.
  When you need to learn deeply, learn from experience.
 « 

 » Lorsque vous avez besoin d’apprendre rapidement, apprenez des autres.
  Lorsque vous avez besoin d’apprendre en profondeur, apprenez par l’expérience. « 

C’est James Clear qui propose cet aphorisme dans sa newsletter du mois de Mars.

Malgré l’apparente évidence de la formule, ou peut-être justement parce que cela semble trop simple pour être vrai, je me suis arrêté sur cette idée. Comment apprend-t-on ? Qu’est ce qu’on apprend par l’expérience, ou en demandant aux autres comment faire ? Et d’ailleurs, comment on sait ce qu’on sait, et ce qu’il nous reste à apprendre ?

C’est évidemment un ensemble de questions importantes pour moi, au regard du projet Mille Mentors, mais aussi pour nous tous qui dirigeons une boite ou un service.

Les trois variables de la compétence

Lorsque je fais des interviews avec des dirigeants expérimentés, pour essayer de découvrir ce que la plupart d’entre nous ignorons, et à côté duquel on passe ; quand j’essaie de comprendre et d’expliciter ce qui fait que nos tentatives de structurer le management, le marketing, la vente, les finances, etc. échouent régulièrement, qu’est-ce que je viens chercher ? Et qu’est-ce que j’apprends ?

Commençons par mettre de côté le fait d’apprendre des informations. C’est sans doute évident mais l’apprentissage de connaissances factuelles comme la date du couronnement de Napoléon, par exemple, n’est pas ce qui m’intéresse ici. Le sujet, c’est l’acquisition de compétences : savoir faire, savoir s’y prendre.

À l’époque où j’animais des formations en management, je disais souvent que la compétence dépend du contexte et ne se résume pas à ce que l’on retire d’une formation.

La compétence, le fait d’être capable de faire ce qu’on attend de nous, c’est une capacité à tirer parti de ses ressources pour atteindre l’objectif qu’on s’est donné, ou qu’on nous a donné, dans la situation dans laquelle on est.

Notre compétence dépend donc de trois variables : l’objectif ou l’activité que l’on doit réussir, ses ressources propres, que l’on amène avec soi et enfin la situation dans laquelle on se trouve, plus ou moins riche en ressources, et dont on sait plus ou moins bien se saisir.

On est compétent dans une situation et avec un jeu de contraintes et de ressources données. On est beaucoup plus rarement universellement compétent.

La compétence situationnelle

Prenons un commercial compétent, c’est-à-dire un commercial qui sait vendre, et changeons-le d’entreprise, de nature de produit, de type de client et même de type de marché : s’il passe d’un seul coup de ventes longues, avec des partenariats, à un univers de ventes rapides, à la tchatche et où l’on presse le client pour le faire signer, il sera probablement incapable de reproduire les excellents résultats qu’il avait jusque là. Le changement de situation l’a rendu incompétent. La compétence est donc situationnelle.

Bien sûr, je force le trait avec mon exemple mais il illustre l’idée que, finalement, la vraie compétence, profonde, portable, se mesure par l’ampleur et la variété des situations dans lesquelles je reste en capacité d’atteindre l’objectif.

Un peu comme MacGyver qu’on peut plonger dans à peu près n’importe quelle situation invraisemblable et qui va toujours trouver le moyen d’utiliser un chewing gum et un élastique pour fabriquer un bidule qui lui permet de se sortir de la panade.

Savoir mettre les collaborateurs en situation de réussite

Petite parenthèse : comme managers, c’est souvent beaucoup plus facile de mettre le collaborateur en situation de performer, plutôt que d’essayer de changer le collaborateur en ce qu’il n’est pas. Et c’est aussi plus rapide.

On peut évidemment travailler sur l’acquisition de compétences, mais c’est toujours beaucoup plus long que de le mettre en situation de réussite immédiate.

Ça veut dire que si j’ai une équipe commerciale avec certains collaborateurs qui sont beaucoup plus naturellement à l’aise et performants dans la relation de vente face à face, à argumenter, mais qui fonctionnent à l’adrénaline et manquent de rigueur dans le suivi, il vaut mieux les mettre dans une situation qui leur correspond.

Et les faire travailler en binôme avec leur collègue qui est moins flamboyant mais qui travaille sur le long terme, qui sait se rappeler les éléments importants, a la patience de relancer plusieurs fois le client et qui a le soin des détails. Ça demande un peu de souplesse de la part du manager, mais ça sera plus efficace que de demander aux deux commerciaux de couvrir tout le spectre.

Fin de la parenthèse et retour à l’aphorisme de James Clear. Je crois qu’il est un peu court.

Apprendre par l’expérience, ou plutôt, les expériences

On apprend en profondeur à partir de l’expérience si, justement, on multiplie les expériences (différentes).

Si on répète tout le temps la même chose qui a déjà marché, finalement, on n’est pas beaucoup plus compétent que celui qui répète bêtement une recette, apprise en formation ou en imitant quelqu’un d’autre.

Or la nature humaine va tendre à nous faire rechercher les situations que l’on maîtrise, et où on est déjà bon. Et donc celles où on apprend le moins.

Pour développer sa compétence par l’expérience, il va falloir travailler.

Il faut commencer par reconnaître les ressources indispensables sans lesquelles on ne sait pas faire, celles qu’on maîtrise en soi et celles qu’on trouve dans les situations où on performe, pour faire la part de ce qui est relativement portable dans ce qu’on sait faire aujourd’hui, et identifier les limites de sa propre compétence.

Je reprends mon exemple du commercial. Dans les compétences que je porte en moi, il peut y avoir une aisance à expliciter les sous entendus de la demande du client, ou à inspirer confiance, ou à négocier. Tout ça c’est portable.

Et puis il y a des ressources qui me rendent compétent et qui sont liées à l’environnement dans lequel je suis aujourd’hui. Par exemple : avoir un pitch de vente accrocheur, bien formulé, avec de multiples variantes, ou bien une excellente connaissance de notre marché et des points faibles des concurrents, ou encore des supports de vente professionnels et élégants… etc, etc.

Apprendre à faire sans certaines ressources, ou les fabriquer

Si c’est le cas, si ces ressources jouent un rôle important dans mes résultats, cela devrait poser deux questions :
Est ce que je saurais vendre si je n’ai pas ces ressources là ? C’est une question critique pour mon évolution.
Comment je peux apprendre à m’en passer, ou à les fabriquer ? Pour, justement, augmenter mon potentiel.

Dans une de mes chroniques, déjà ancienne, sur la pratique délibérée, je prenais l’exemple de la prise de parole en public. Quelqu’un qui est un très bon orateur sur une scène, devant un public nombreux et anonyme, parce qu’il fonctionne avec l’adrénaline, le showmanship, peut aussi choisir de travailler sciemment, délibérément, la pratique d’une prise de parole plus intimiste en petit groupe. Il ou elle peut aussi travailler sa prise de parole face caméra sans le retour du public en face.

Bref, multiplier les expériences pour développer ses compétences.

Apprendre par les autres

Voilà pour l’apprentissage par l’expérience. Mais James Clear propose aussi d’apprendre rapidement en apprenant des autres.

En utilisant le triptyque mission, ressources, situation comme déterminants de la compétence, on voit que, probablement, ce que l’on va pouvoir apprendre d’un autre, ça va être la manière dont, dans un contexte donné, il compose une tactique ou une stratégie de réussite à partir d’un certain nombre d’éléments ressources.

Pour que cela nous soit utile, il va falloir dissocier, et extraire, ce qui relève de la situation et de ses ressources propres, pour repérer ce qui va pouvoir être transposable et marcher correctement avec nos propres ressources et dans notre contexte.

C’est un peu ce que j’essaie de faire dans mes interviews pour le podcast, surtout les plus récentes, et cette réflexion va me guider pour les prochaines. Creuser la connaissance empirique, théorique ou expérientielle que mes invité·es ont construite au fil du temps et tenter de comprendre et d’expliciter sur quels éléments de la situation ils s’accrochent pour les appliquer. Quels sont les éléments pivots qui leur permettent de déterminer qu’on va plutôt faire A ou B dans telle situation ?

En fait c’est ça le projet Mille Mentors : apprendre par l’expérience des autres pour gagner en efficacité et en sérénité dans notre rôle de dirigeant.

Ça va être intéressant de réécouter l’interview que j’ai faite l’année dernière de Cédric Robin sur le recrutement, et qui est parue vendredi, pour voir si, au travers de cette heure et demi d’entretien, on peut réussir à conjuguer ces deux pistes : apprendre des autres ET apprendre par l’expérience.

Je vous en souhaite une bonne écoute et on se retrouve dans quinze jours.

Pour aller plus loin:

L’interview de Cédric Robin sur le recrutement.
Une véritable masterclass où l’on a abordé des questions fondamentales :

  • Comment construire une offre d’emploi attractive ?
  • Faut-il recruter sur les compétences ou sur la motivation ?
  • Comment organiser et mener un recrutement ? Les différentes étapes du process.
  • L’on-boarding: comment s’y prendre pour réussir l’intégration ?
  • La période d’essai (à faire et à ne pas faire)
  • Le closing et la négociation de salaire
  • Le recrutement en interne

À écouter ici : https://www.podcastics.com/episode/223460/link/

Ma chronique d’octobre 2021 sur la pratique délibérée

Et la newsletter de James Clear qui m’a soufflé cette idée de chronique.


Ce texte a été originellement publié dans L’hebdo de Mille Mentors, le petit mail qui fait du bien le dimanche soir : une réflexion comme celle-ci, inspirée par l’actualité de la semaine, puis quelques pépites relevées dans ma veille et une pastille détente. Pour en profiter chaque semaine en avant-première, abonnez-vous.

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