Accueil » Blog » Doubler ses prix… pour changer de modèle

Doubler ses prix… pour changer de modèle

[Cette chronique a d’abord été publiée dans la newsletter du 1er octobre 2023Abonnez-vous]

Il y a une dizaine d’années, mon pote Thibault a doublé ses tarifs. Du jour au lendemain. C’était préparé, et c’était un coup de génie. 

C’est à lui que j’ai pensé cette semaine, en voyant que Lego abandonne le plastique recyclé.

J’ai pensé à Thibault, mais j’ai surtout pensé à nous tous. Et je me suis dit qu’on allait sans doute devoir multiplier nos prix par deux et changer notre business modèle. 

Pourquoi se préoccuper de l’écologie ?

Je sais, je sais, vous vous dites « qu’est-ce qu’il raconte Damien ? Je ne peux pas multiplier mes prix par deux, et puis je ne vois pas le rapport avec Lego. »

Laissez-moi deux minutes pour vous expliquer le lien, qui est assez indirect, j’avoue, et on regarde ensemble comment on pourrait changer nos business modèles.

Celles et ceux d’entre vous qui me suivent depuis un moment savent déjà que je suis écolo, puisque j’ai fait plusieurs chroniques en ce sens. Mais je ne suis pas du genre hippie qui embrasse les arbres. Je suis un faux écolo rationaliste, pragmatique et égoïste. 

Ce que je veux éviter, c’est d’avoir gâché ma vie et mon temps.

À titre personnel, ça me désolerait de ne pas laisser à mes enfants une chance de vivre une vie décente sur une planète vivable. 

Sur le plan professionnel, j’aurai vraiment le sentiment d’avoir bossé pour rien si, lorsque je prendrai ma retraite dans une dizaine d’années, je laisse une entreprise qui périclite ou disparaît cinq ans après le départ de ses créateurs. 

Ça veut dire travailler la stratégie, l’organisation, le management et la culture pour que la boîte repose sur des fondations solides et pas sur l’énergie de ses fondateurs. 

Mais ça veut dire aussi se préoccuper de l’environnement dans lequel opère l’entreprise, et construire un positionnement et un business modèle compatibles avec l’évolution du monde.

J’ai grandi dans les années 70 et 80, quand le futur était synonyme de progrès. Cette illusion est dépassée. On devrait le savoir depuis 1972, et le rapport du club de Rome sur les limites de la croissance, mais on en prend aujourd’hui conscience, tard et brutalement. Et on sait tous maintenant qu’on va devoir s’adapter. Aussi bien à titre personnel que dans nos entreprises.

L’écologie oui… mais comment ?

L’exemple de Légo est édifiant à cet égard. 

Après des années de R&D et des investissements énormes, l’entreprise danoise a entrepris de convertir ses usines pour recycler le plastique et fabriquer ses briques à partir de déchets (bouchons de bouteilles, par exemple).

Doubler ses prix pour changer de modèle: la devise de Lego, "Det bedste er ikke for godt", "le meilleur n'est jamais trop bon"
« Le meilleur n’est jamais trop bon », devise de Lego, depuis 1936

Deux ans plus tard, ils viennent de décider d’abandonner, car ils se sont rendu compte que cette option est au final plus dommageable pour le climat que la fabrication traditionnelle. 

Alors on peut se dire que c’est du pipeau, que la décision est économique, mais Lego, dont le nom signifie « Bien jouer » est une entreprise qui prend très au sérieux sa mission de « contribuer à créer un environnement mondial où tous les enfants peuvent acquérir les compétences dont ils ont besoin pour s’épanouir et réaliser leur plein potentiel ». 

D’une part ils l’ont démontré plusieurs fois dans leur histoire, par exemple en se faisant les avocats, dès les années 70, de la mixité et de la lutte contre les stéréotypes de genre dans les jeux d’enfants, et d’autre part, il aurait sans doute été plus économiquement rentable, à court terme, de ne rien dire et d’afficher une vertu écologique bidon pour plaire aux investisseurs et aux consommateurs. 

En étant transparent, Lego fait un choix courageux et responsable. Ça m’incite à les croire.  

Et quoi qu’il en soit, cet exemple vient s’ajouter à de nombreux autres pour nous rappeler qu’il n’y a tout simplement pas assez de ressources pour que tout le monde puisse satisfaire tous ses désirs. 

Consommer moins, mais mieux consommer

Le recyclage, l’upcycling, l’optimisation des techniques de production ou les technologies peu consommatrices ralentissent la courbe mais ne l’inversent pas. 

C’est pas une bonne nouvelle pour nous tous et ça nous rappelle que le vrai geste écologique c’est d’abord de moins consommer pour moins fabriquer. 

La raréfaction des ressources est inexorable et elle va tendre les prix. Ce qui était un plaisir va devenir un luxe. 

Comme consommateurs nous allons devoir choisir, et renoncer. Est-ce que ça sera le retour des produits de qualité, conçus pour durer ? Je le crois.

Mon grand-père m’avait un jour cité Edmond de Rothschild qui aurait déclaré « Je ne suis pas assez riche pour acheter des choses bon marché ». 

Pour le Baron, je ne sais pas, mais c’est sûr que notre planète n’est pas assez riche pour qu’on construise nos économies sur des produits bas de gamme jetables et remplacés indéfiniment par d’autres produits jetables.

Qu’on soit volontaires ou contraints, pionniers ou suiveurs, on va sans doute tous finir par rejoindre la philosophie minimaliste : désencombrer nos intérieurs en ayant moins d’objets mais de beaux objets qui procurent de la joie.

Les trucs bon marché, ça finit par coûter cher. Je préfère acheter moins de viande mais m’offrir, quelque fois par an, un excellent morceau de quasi de veau ou un rôti fondant. Ou investir dans une paire de Weston qui durent 15 ans plutôt que dans des sneakers qui sont défoncés au bout de six mois. Même s’ils sont à 10€.

Des plaisirs qui valent le coup, et des achats qui valent le coût.

Mais, alors, en tant qu’entrepreneurs, que va-t-il se passer si nos clients achètent moins ?

Il va falloir qu’on soit toujours plus compétitifs pour rester en lice. Et là on a deux stratégies. 

Comment gagner plus si on vend moins ?

La première c’est de proposer un petit peu mieux que nos concurrents, pour un petit peu moins cher. ÇA pourrait marcher dans un monde statique mais le risque c’est qu’un concurrent, à son tour, améliore marginalement son offre, et baisse encore un peu ses prix… et ainsi de suite jusqu’à ce qu’on atteigne le plancher au-delà duquel plus personne ne sait fournir le service ou le produit et rester à flot. Ce que les américains appellent «a race to the bottom». Et on peut toujours faire plus bas jusqu’au moment où on tombe à zéro.

L’autre stratégie c’est de remonter en gamme. Doubler nos prix et offrir une meilleure valeur que tout le monde. Et là, il n’y a pas de plafond.

C’est ce qu’a fait mon copain Thibault il y a maintenant 18 ans. Avec succès. 

Thibault était – est toujours – consultant indépendant en développement de logiciels. À l’époque, il cherchait à optimiser son activité en combinant les missions pour facturer le plus de jours possibles dans l’année. Il y parvenait et se procurait un revenu confortable mais au prix d’une activité épuisante qui ne le laissait pas satisfait. Pourquoi se mettre à son compte si c’est pour être encore moins libre que lorsqu’on était salarié ? 

Thibault a alors fait un choix radical. Il a baissé son train de vie, pris un logement moins cher et économisé jusqu’à accumuler un matelas de réserves équivalentes à 2 ans de ses nouveaux besoins (en gros 6 mois de chiffre d’affaires). Puis il a fait le tour de ses clients pour leur expliquer qu’il allait doubler son tarif journalier. 

Changer de modèle: un pari culotté, mais réussi

Le raisonnement était simple, mais culotté : je vais perdre une grande partie de mes clients, et mes missions vont se resserrer sur les sujets où les clients ont absolument besoin de moi. 

Ainsi, au lieu de perdre une grande partie de mon temps à faire pour les clients des travaux qu’ils pourraient faire eux-mêmes, je vais travailler sur des problèmes complexes qui sollicitent mes compétences les plus pointues. Ça sera plus exaltant, je vais progresser dans mon expertise.

J’aurai également plus de temps pour faire de la veille, de la R&D et des conférences ou des articles, ce qui est nécessaire pour renforcer ma position d’expert. Et je pourrais me le permettre car, en ayant doublé mes tarifs, j’aurai besoin de facturer moins de jours pour me maintenir à flot, d’autant plus que j’ai réduit mon train de vie.

C’était extrêmement malin et ça a super bien fonctionné. Thibault est devenu toujours plus expert et toujours plus reconnu dans son domaine, jusqu’à atteindre une renommée internationale sur sa niche, ce qui lui a permis d’augmenter encore ses tarifs, de nombreuses fois.

Remonter les prix, changer de cour

Lorsque la désillusion de Lego quant au recyclage des plastiques est venue me rappeler que nous ne pourrons pas continuer d’en faire toujours plus pour toujours moins cher, c’est donc à Thibault que j’ai repensé.

Si nous devons avoir moins de vaches pour qu’elles se nourrissent à l’herbe plutôt qu’au maïs, il vaut mieux que ça soit des races à viande de très grande qualité. Si nous devons fabriquer et vendre moins de vêtements, il vaut mieux que ce soit des vêtements de très grande qualité, intemporels et solides pour justifier leur prix élevé… etc.  Si nous voulons continuer à faire du business dans un monde en contraction, nous devons, je crois, chercher la sortie par le haut. 

Remonter nos prix, beaucoup, pour changer de compartiment de jeu, c’est triplement intéressant : ça nous met à part, ça nous donne plus de moyens pour offrir un service ou un produit exceptionnel, et ça nous rapporte plus d’argent.

Comme le disait Dan Sullivan : « Il n’y a aucun avantage stratégique à être le deuxième moins cher, mais il y a toujours un avantage stratégique à être le plus cher».

Pour aller plus loin:

L’article de Novethic qui m’a donné l’idée de cette chronique 
Lego abandonne le plastique recyclé car il augmente ses émissions de carbone

La politique RSE de Lego  
Public Policy – About Us – LEGO.com

Un manifeste intitulé « lettre aux parents », datant de 1974, que Lego glissait dans ses boîtes de jeu pour défendre des idées auxquelles l’entreprise est attachée, et qui n’étaient pas évidentes à l’époque : 

« L’envie de créer est aussi forte chez tous les enfants. Garçons et filles.

C’est l’imagination qui compte. Pas l’habileté. Laissez-les construire tout ce qui leur passe par la tête, comme ils le veulent. Un lit ou un camion. Une maison de poupée ou un vaisseau spatial.

Beaucoup de garçons aiment les maisons de poupées. Elles sont plus humaines que les vaisseaux spatiaux. Beaucoup de filles préfèrent les vaisseaux spatiaux. Ils sont plus excitants que les maisons de poupées.

Le plus important est de mettre le bon matériel entre leurs mains et de les laisser créer ce qui leur plaît. »

Un article des Echos cette semaine qui fournit une illustration des changements nécessaires et souhaitables, avec la consommation de lait et de viande : 
🐄 Les vaches sont responsables de 10 % des émissions de gaz à effet de serre en France.
🌿 Une solution pour rendre les vaches plus écologiques serait de les nourrir principalement avec de l’herbe, créant ainsi un « puits de carbone. »
🥩 Actuellement, les vaches nourries avec un mélange d’herbe et de céréales compensent entre 10 et 50 % de leurs émissions de méthane.
💼 Le retour à une alimentation 100 % en herbe pourrait réduire les émissions et les importations, mais cela remettrait en question l’organisation économique du secteur.
🛒 Pour éviter d’importer, une réduction de la consommation de viande et de produits laitiers pourrait être nécessaire. 
Les vaches pourraient-elles finalement être la solution au réchauffement climatique ? 

Enfin, concernant le changement de business modèle et l’idée de doubler nos prix, elle vient tout droit d’Alex Hormozi : L’Offre à 100M $ : Comment créer des offres tellement irrésistibles que les gens seraient idiots de refuser


Ce texte a été originellement publié dans L’hebdo de Mille Mentors, le petit mail qui fait du bien le dimanche soir : une réflexion comme celle-ci, inspirée par l’actualité de la semaine, puis quelques pépites relevées dans ma veille et une pastille détente. Pour en profiter chaque semaine en avant-première, abonnez-vous.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut