Accueil » Blog » Le patron part, plus rien ne va

Le patron part, plus rien ne va

[Cette chronique a d’abord été publiée dans la newsletter du 15 octobre 2023Abonnez-vous]

Quand un manager s’en va, il n’est malheureusement pas rare de voir la performance de son service ou de son équipe s’effondrer après son départ. 

C’est vrai aussi des dirigeants. 

Le groupe Atos en fournit en ce moment une assez belle illustration. Depuis que Thierry Breton a quitté le groupe informatique pour rejoindre la Commission européenne, les dirigeants se succèdent. Ils en sont actuellement au troisième directeur général en deux ans. Et, malgré des succès commerciaux, le groupe est de plus en plus dans la tourmente. 

Atos n’est pas le seul, on a déjà vu ça plein de fois, avec plein d’entreprises.

Patron exceptionnel, ou imposteur du management ?

Ça peut laisser penser que le dirigeant emblématique qui est parti devait être un excellent patron, puisqu’aucun de ses successeurs n’arrive à maintenir ses performances. 

Un patron qui s’en va, des résultats qui plongent. Marque d’un patron exceptionnel ? Non, bien au contraire. Je crois que c’est le révélateur d’un imposteur du management. Un patron qui n’a rien construit de durable, rien laissé.

La bourse ne s’y trompe pas, puisque le cours chute.

Quand on rachète une entreprise, quand on investit en bourse, ce qu’on valorise ce n’est pas le capital, les résultats passés, mais le capital immatériel, les résultats futurs.

Le capital de l’entreprise est constitué de l’investissement initial des actionnaires et des résultats antérieurs qui n’ont pas été distribués : les bénéfices qui ont été réinvestis dans l’entreprise et qui s’accumulent. Donc, le capital de l’entreprise, qui figure à son bilan, c’est la somme de toutes ses réussites passées.

Ça dit quelque chose des performances de l’entreprise, mais ça n’est pas toujours prédictif de ses performances futures. L’entreprise peut avoir eu de très belles années qui lui assurent un capital confortable, mais est aujourd’hui dans une impasse stratégique. 

Le capital immatériel

Ce qui, en revanche, traduit ses capacités de profit futures, c’est son capital immatériel. Immatériel parce qu’il n’est pas encore réalisé, parce qu’il est très souvent relativement intangible.

Intangible ne veut pas dire absent.

Le capital immatériel c’est l’ensemble des facteurs qui mettent l’entreprise en bonne position de réussir à l’avenir : la confiance des actionnaires et leur patience vis- à- vis des projets de l’entreprise, la qualité du portefeuille client, la solvabilité des clients, la dynamique du marché sur laquelle on est, la réputation de l’entreprise, sa propriété intellectuelle, la qualité de ses savoir- faire, l’engagement des collaborateurs et leur fidélité, la qualité des compétences, la qualité du réseau de sous- traitants et de fournisseurs, etc. 

Pour évaluer un patron ou un manager, on ne doit pas seulement évaluer ses résultats passés, mais aussi la qualité du capital immatériel qu’elle, ou il, laisse. 

Parce que c’est quoi le boulot d’un manager ? J’en reviens toujours à Peter Drucker. 

Le rôle du manager

Le rôle d’un manager, c’est d’obtenir une performance collective durable, c’est-à-dire à la fois d’obtenir les résultats à court terme dont l’entreprise a besoin, tout en créant les conditions de reproduire cette performance.

En bref : des résultats reproductibles.

Ainsi, un commercial qui obtient des résultats en forçant les ventes va peut- être atteindre ses objectifs à court terme, mais ne va pas créer les conditions d’une performance durable. Et cela va se voir le jour où il part. 

Et c’est d’ailleurs souvent quand ça va se voir qu’il part.

Si on veut être de bons managers ou de bons dirigeants, qu’est- ce qu’on doit faire ? 

C’est assez simple. En tout cas, c’est assez simple à expliquer, même si c’est plus difficile à faire. 

Il faut concilier l’exigence de résultats à court terme avec la nécessité de construire ou de préparer la performance de demain. 

Un modèle pour un meilleur management

Pour ça je vous propose un modèle en trois horizons de temps :
– les actions à court terme 
– les projets à moyen terme 
– et les capacités à long terme

À court terme (la semaine, le mois, ou le trimestre selon le rythme de votre activité), les résultats sont obtenus par des actions.

On doit donc absolument avoir une très grande clarté avec nos équipes sur les priorités d’action. C’est ça qui va driver les résultats et il est important que chacun ait bien en tête ce qu’il a à faire, mette l’énergie nécessaire et ne se disperse pas. 

Ça ne veut pas dire faire du micro-management directif mais s’assurer que chacun est au clair sur ses actions et partage la même vision des priorités.

Dans le même temps, on doit aussi faire la place à la construction de l’avenir et celui-ci est de moins en moins clair quand on s’éloigne dans le temps. 

Le moyen et long terme

On va piloter deux plans en parallèle : 

Les capacités à moyen terme proviendront de projets que l’on mène maintenant pour construire ou maintenir les résultats de la prochaine période (trimestre, année, ça dépend là encore du rythme de votre business).

Ça peut être la préparation d’un événement ou d’une campagne commerciale, le recrutement de deux personnes en plus, la création d’une nouvelle offre ou la sélection d’un meilleur fournisseur. Toutes ces activités qui mettront plusieurs mois à porter leurs fruits et qu’on doit engager aujourd’hui pour récolter demain.

Enfin la préparation de l’avenir plus lointain (et parfois, l’avenir lointain c’est juste dans 2 ans) suppose d’être capable de faire face à des défis et des conditions qu’on ne connaît pas encore.

Du coup, on ne va pas pouvoir mener des projets opérationnels. Ça n’aurait pas beaucoup de sens de construire maintenant l’offre, le partenariat ou la machine dont on aura besoin dans 2 ans… peut-être, ou pas.

Ce qu’il faut, pour affronter l’avenir incertain avec sérénité, c’est la capacité de détecter tôt les changements, ou les besoins, et d’y répondre vite. 

Compétences et relations

Le troisième étage de notre pyramide des priorités managériales c’est donc le développement, dès aujourd’hui, de ce qui sera le plus long à construire : les compétences (hard et soft) et les relations (clients, collaborateurs, fournisseurs, actionnaires, grand public…) qui nous donneront la capacité de mener en temps utile les projets stratégiques de demain. 

Vous allez me dire que l’on ne peut pas tout faire en même temps et que, si tout est prioritaire, rien ne l’est. 

C’est vrai mais qui dit que les trois plans s’opposent ? Ou que l’un doit consommer tout l’espace. 

Je vous invite à penser l’articulation des priorités comme un repas équilibré : beaucoup de légumes et de crudités pour les vitamines, les fibres et la satiété, un peu de féculents et de protéines pour tenir jusqu’au prochain repas, un dessert raisonnable pour la gourmandise. 

Vous pouvez même associer votre équipe à la préparation de votre boîte de bento : un grand compartiment pour les actions qui vont produire les résultats attendus à court terme, un moyen pour les projets qui préparent la prochaine période et un plus petit pour le long terme. 

Que les proportions soient 70/20/10 ou 50/30/20 vous appartient. Ce qui compte c’est de choisir clairement ce qui rentre dans le casier, de remplir les trois casiers, et d’être très au clair avec les équipes sur ce qui n’y est pas, et qu’on garde au frigo pour une prochaine fois. 

Je vous laisse donc composer le menu de votre équipe, je vous souhaite un bon appétit de priorités et j’espère que vous n’aurez pas les yeux plus gros que le ventre 😉

Pour aller plus loin:

Quelques anecdotes sur les déboires des grands groupes après le départ d’un dirigeant
 (note : je n’ai rien contre monsieur Breton, et je ne connais pas assez le groupe Atos pour juger de son management, mais l’histoire que raconte Le Monde est assez édifiante.)

Et ce n’est malheureusement pas un cas unique : 

Un travail de recherche sur l’impact des managers et dirigeants sur la performance de leurs équipes : 

Un court article qui pose l’idée que l’avenir du travail ne sera pas déterminé par la techno mais par la création du bon mix de formation, d’exposition et d’expérience nécessaire pour développer des compétences, se saisir des enjeux et des technos et les mettre en pratique. 
Il suggère un modèle 70/20/10 de développement des compétences : 10% par la formation tradi, 20% par le mentorat ou les groupes de pairs, 70% par une pratique professionnelle supervisée et améliorée par le feedback. 
Un bon rappel que le rôle du manager dans le développement des compétences c’est pas d’avoir toutes les réponses mais de poser l’exigence juste et d’aider les collaborateurs à trouver leurs ressources de progression.

Une recherche auprès des alumni de l’Insead qui expose le syndrome de l’échec programmé, ou comment une relation managériale mal engagée peut virer à la spirale de l’échec auto-prédictif.

[Edit 16/10/23] Un article sur le blog de Welcome To The Jungle, qui m’a été pointé par un lecteur après la sortie de cette chronique : comme quoi tous les sujets ont toujours déjà été traités quelque part 😉

Deux présentations du Capital Immatériel, sur Wikipédia et sur le site de Goodwill management qui s’est spécialisé dans sa mesure.


Ce texte a été originellement publié dans L’hebdo de Mille Mentors, le petit mail qui fait du bien le dimanche soir : une réflexion comme celle-ci, inspirée par l’actualité de la semaine, puis quelques pépites relevées dans ma veille et une pastille détente. Pour en profiter chaque semaine en avant-première, abonnez-vous.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut