[Cet article a été initialement publié dans la newsletter du 21 novembre 2021]
Diriger c’est parfois difficile. À peine un problème réglé qu’un autre surgit déjà, sans répit.
Certaines situations ne proposent que des mauvais choix et des coups à prendre mais c’est à nous de prendre la décision, et les coups.
Il peut nous arriver de vouloir baisser les bras.
Quand ça m’arrive, ça ne dure jamais très longtemps car j’ai un secret : je pense à des gens que j’ai croisé et qui n’ont jamais baissé les bras.
Laissez-moi vous présenter 3 personnes hors normes.
Emmanuelle
J’ai rencontré Emmanuelle lors d’un forum stages dans une école d’ingénieurs. Elle avait une diction inégale et j’ai repéré « LSF complétée » à la rubrique langue de son CV mais comme l’entretien se déroulait normalement et qu’elle a choisi de ne pas mentionner sa surdité je n’en n’ai pas fait état non plus.
Elle a intégré mon entreprise en stage de 3ème année, comme apprentie développeuse.
Cette première expérience n’a pas duré très longtemps car elle avait du mal à suivre les cours dans l’amphi parisien trop peuplé. Elle est donc partie à Bordeaux, dans une école plus petite. Après son diplôme et une première expérience professionnelle décevante on a eu la joie de la re-recruter et elle est restée 6 ans chez nous.
Ça n’a pas été facile au début. Il a fallu apprendre et s’adapter.
Emmanuelle lit sur les lèvres. C’est incroyable à quel point c’est fluide. Mais il faut être dans son champ de vision, ou attirer son attention avant. Les interpellations spontanées dans un open space lui passent au-dessus de la tête, littéralement. Les discussions de groupe, à bâton rompu, lui sont très difficiles à suivre et les intonations qui inversent le sens de ce qu’on dit lui sont inaudibles ; dans une équipe qui adore faire des blagues au second degré ça a pu être très excluant.
On s’est adapté, et organisé. Lors des formations ou des événements de groupe (séminaire) on faisait venir une «codeuse» en langue des signes complétée. Lors des points quotidiens l’équipe a appris à se tourner vers Emmanuelle. Et puis le chat a beaucoup remplacé les interpellations dans l’open-space. Bref on a trouvé des solutions.
Et il faut le dire : ça n’a pas été difficile.
Pour nous.
De son côté, elle a subi de nombreuses opérations douloureuses et des rééducations fatiguantes pour apprendre à tirer parti d’un implant cochléaire qui lui permet de capter les bruits, à défaut d’entendre tout à fait. Et tout ça en bossant pour nos clients et en apprenant le métier d’artisan logiciel agile avec un patron incroyablement exigeant quant au niveau technique de ses équipes (moi !)
Comme je l’ai évoqué dans un numéro précédent, en 2019 nous avons arrêté le développement logiciel. Emmanuelle a donc rejoint les équipes de DCube où elle continue de progresser et de s’éclater.
Et de m’impressionner.
Fabrice
Je l’ai rencontré en 2013, dans le cadre de nos activités respectives au sein du CJD, le Centre des Jeunes Dirigeants. Fabrice présidait le CJD Macon et m’avait invité à venir parler d’agilité. À ma descente du TGV j’ai été accueilli par un gars adorable, super souriant et qui allait en 100 à l’heure… en fauteuil roulant.
Je ne sais pas comment à commencé sa carrière professionnelle mais, en 2004, une chute de 4 mètres sur le dos lui a fracturé la colonne vertébrale. Après des mois de souffrance, de convalescence et de rééducation, Fabrice a dû se réinventer une vie sans l’usage de ses jambes.
Ça ne l’a pas empêché de rebondir, métaphoriquement. Faute de trouver un emploi, il a créé son entreprise de conseil dans les risques industriels et environnementaux, qui va maintenant sur ses 13 ans. En parallèle, au sein du CJD, il a porté de nombreux mandats et intégré le Comex. Il est également devenu conférencier, puis coach.
Rien ne l’arrête.
Quand je suis tenté de m’asseoir, j’ai un petit Fabrice perché sur mon épaule qui me souffle «allez, encore un petit tour», et je repars.
Virginie
Sourde ET avocate ? Comment y croire ? Ou, plutôt, devant ce tour de force, comment croire encore qu nous pouvons avoir des excuses à ne pas faire ce dont nous rêvons. Ça m’épate.
Pour être franc je ne connais pas vraiment Virginie, pas personnellement. Uniquement comme conférencière. Alors, plutôt que de parler d’elle à sa place, je la laisse se présenter :
« Sourde profonde de naissance, je me plais à dépasser les barrières
que la société dresse régulièrement devant moi.
On m’a dit que je ne parlerai jamais, que je n’apprendrai jamais à lire ni écrire, que je n’aurai pas mon bac, que personne ne voudrait se marier avec moi, que je ne gagnerai jamais bien ma vie avec un handicap… Et pourtant…
Pendant 10 ans, j’ai expérimenté la vie professionnelle sous toutes ses formes : start-up, multinationale, organisation internationale, cabinet d’avocat, dans plusieurs pays et sous diverses casquettes (juriste, chef de projet, chef de service, membre du conseil d’administration). J’ai beaucoup appris : comment le handicap était perçu selon les contextes, et comment en faire une force !
Mon credo : Handicap ou non, nous avons tous en nous des trésors que nous pouvons mettre au service de chacun »
Épatant, non ?
Alors, voici pourquoi je voulais absolument vous les présenter : parce qu’ils sont tous les trois rayonnants bien sûr et aussi parce que ce sont de vrais sources d’inspiration pour nous, entrepreneurs.
Lorsque je vois ce à quoi il sont parvenu malgré des obstacles insensés, je me conforte dans ma croyance que « tout est possible à qui rêve, ose, travaille et n’abandonne jamais » selon la jolie formule de Xavier Dolan à Cannes.
Pour aller plus loin :
- Le post LinkedIn d’Emmanuelle qui a suscité cet édito :
https://www.linkedin.com/pulse/seeph-mon-point-de-vue-d%25C3%25A9veloppeuse-en-tant-que-salari%25C3%25A9e-aboaf/ - Le site de la chouette opération DuoDay, qui avait lieu jeudi dernier dans le cadre de la semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées. Je regrette de ne l’avoir découvert que mardi, c’est-à-dire un peu tard pour participer cette année. Mais c’est bien noté pour l’an prochain.
https://duoday.fr/ - L’article co-écrit par Emmanuelle et sa DRH sur son inclusion chez DCube.
https://blog.dcube.fr/index.php/2020/09/18/dcube-une-societe-inclusive/ - Le site de Fabrice pour son activité de coaching
https://verslerebond.fr/ - Le site de Virginie pour son activité de conférencière
https://www.handicapower.com/
Ce texte a été originellement publié dans L’hebdo de Mille Mentors, le petit mail qui fait du bien le dimanche soir : une réflexion comme celle-ci, inspirée par l’actualité de la semaine, puis quelques pépites relevées dans ma veille et une pastille détente. Pour en profiter chaque semaine en avant-première, abonnez-vous.