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Comment prendre une mauvaise décision, même quand on a raison

[Cet article a été initialement publié dans la newsletter du 7 novembre 2021]

En mars 2019 j’ai pris l’une des pires décisions de ma carrière.

Lors d’une réunion de notre équipe de direction, j’ai dit quelque chose comme « Je pense que nous devrions arrêter le développement logiciel car nous n’avons pas la masse critique pour être ​​rentables et, pendant ce temps, ça disperse nos ressources et nos efforts commerciaux. J’aimerai faire un tour de table pour savoir si vous êtes OK ». Je suis bavard, c’était sans doute beaucoup plus long mais vous voyez la scène.

Nous avons rapidement conclu qu’en effet il était raisonnable de mettre fin à cette activité historique de l’entreprise et acté la décision.

C’était une erreur.

Est-ce qu’il fallait arrêter cette activité ? Oui. Encore aujourd’hui je le crois.

Mais alors, est-ce que, du coup, c’était la bonne décision ?

Non, absolument pas. C’était une très mauvaise décision.

C’était une mauvaise décision d’abord par la manière dont je l’ai amenée : si ma décision n’était pas arrêtée et que je recherchais le point de vue des autres, cette manière de faire était la meilleure garantie d’obtenir une belle unanimité, par un puissant effet de «Groupthink».

Dans ce genre de situation où l’on interroge tout un groupe à tour de rôle et que les collègues disent tous la même chose, il est difficile, si je doute, d’articuler à brûle-pourpoint des arguments convaincants contre une idée que tout le monde semble valider. C’est sans doute moi qui suis dans l’erreur et je me tais. Sauf que, peut-être, les autres aussi ont tu leurs doutes.

Et ici, pour couronner le tout, j’avais en plus totalement biaisé la décision par un bel effet de priming, en donnant mes arguments et ma conclusion avant de poser la question.

Si je voulais vraiment examiner les options et construire une position éclairée par le groupe, il aurait fallu permettre à chacun d’analyser la situation et construire ses arguments avant de les confronter. J’aurais pu, par exemple, utiliser la méthode des 6 chapeaux de Bono ou la conversation structurée (ORID) que nous proposons souvent en atelier.

“If you have quick consensus on an important matter, don’t make the decision.”   

Peter Drucker

Si, au contraire, j’étais résolu, il ne servait à rien de me cacher derrière l’opinion du groupe. C’est une forme de déresponsabilisation. En revanche, j’aurais pu mobiliser l’intelligence du groupe pour examiner les conséquences de ce choix et construire sa mise en œuvre.

Car c’est la deuxième erreur que j’ai faite : me concentrer sur ce qui était le plus douloureux pour moi : le choix d’arrêter ce qui avait été l’activité fondatrice de l’entreprise.

Mais l’enjeu ce n’était pas ça. Ce n’était pas mon deuil. Ce qui était en jeu c’était la mise en œuvre de ce choix et ses conséquences pour l’entreprise. Ce n’était pas moi qui était important, c’était la relation avec nos clients, la perception de cette décision par nos collaborateurs, ceux dont l’activité allait s’arrêter et les autres, ceux qui allaient rester. C’est ça dont nous aurions dû discuter.

Le rôle du manager, je le dis pourtant souvent, c’est d’assurer les résultats à court terme et à long terme. De veiller à ce qu’on délivre aujourd’hui et à ce qu’on construit pour demain. D’assurer la bottom-line et le capital immatériel.

Or, en l’espèce, ce choix a eu des conséquences sociales profondes dans l’entreprise, en termes de rupture du lien de confiance, de loyauté, qui existait avec nos collaborateurs et nos clients. Et, au final ça nous a sans doute coûté très cher.

Comme le dit Christophe Lachnitt dans une tribune sur le retrait des troupes américaines de l’Afghanistan, « une bonne décision mal mise en pratique peut-elle être considérée comme vraiment pertinente ? »

La bonne manière de prendre cette décision aurait été de travailler avec le codir sur l’ensemble des options possibles pour arrêter cette activité, d’envisager leur coût complet (social, financier, en temps et en impact sur nos clients) et de choisir la voie la plus en accord avec l’identité de l’entreprise, ses valeurs, sa stratégie et ses moyens.

Finalement le job du dirigeant n’est pas seulement de prendre des décisions pour les autres, c’est surtout de faire en sorte que l’entreprise prenne bien les décisions nécessaires.

Sometimes you can make the right decision, sometimes you can only make the decision right.

Phillip C. McGraw

Pour aller plus loin :


Ce texte a été originellement publié dans L’hebdo de Mille Mentors, le petit mail qui fait du bien le dimanche soir : une réflexion comme celle-ci, inspirée par l’actualité de la semaine, puis quelques pépites relevées dans ma veille et une pastille détente. Pour en profiter chaque semaine en avant-première, abonnez-vous.

3 réflexions sur “Comment prendre une mauvaise décision, même quand on a raison”

  1. merci pour cet article Damien qui éclaire une situation vécue sous un angle différent et que pour tout dire je ne soupçonnais pas.
    Ceci dit, il me manque un truc ici , c’est la notion de temps ( ou temporalité? ) dans cette décision, n’était-elle pas déjà prise car prise trop tard au regard de la situation de l’équipe et de l’entreprise?

    1. Damien THOUVENIN

      Ce sont deux choses différentes : cette question aurait eu d’autres options si on l’avait posée 3 ans plus tôt mais, faute de machine à remonter le temps, l’enjeu à ce moment-là c’était la bonne manière de mener cette opération inéluctable.

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