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La valeur du (télé-)travail

[Cette chronique a d’abord été publiée dans la newsletter du 05 février 2023Abonnez-vous]

62 minutes.

62 minutes, par jour, soit plus de 5h par semaine, c’est le temps économisé sur les trajets par les français qui télétravaillent, d’après une étude mondiale du National Bureau of Economic Research.

Le temps, c’est de l’argent

Ce chiffre m’a interpellé car, que faisons-nous de ce temps ? Nous bossons, pour une bonne part. 44% du temps, en moyenne, d’après le rapport.

Ce que confirme une autre publication récente, du cabinet ADP, qui estime qu’en France, un télétravailleur effectue en moyenne 7,65h/semaine d’heures sups non rémunérées vs 4,3h pour le salarié en présentiel.

Or, si les gens en télétravail bossent plus sans être payés plus, on devrait voir la productivité exploser.

Est-ce le cas ?

Bof. 48% des entreprises considèrent que la mise en place du télétravail massif n’a pas eu d’impact sur leur «productivité», 26% que la productivité a augmenté et 22% qu’elle a diminué.

Pas très concluant.

Et si nous faisions le calcul nous-mêmes ?

Plus de travail = plus de productivité ?

La productivité c’est la production (en euros) divisée par le nombre d’heures payées.

D’après la Dares, la durée effective du travail en France est de 36,9h par semaine. Si on y ajoute 3h non rémunérées on devrait voir une amélioration de la production de 8%.

Très au-dessus de la croissance, même si la majorité des salariés ne sont pas en télétravail.

Bref, c’est pas clair.

Je me dis que le gain en heures travaillées est peut-être reperdu en efficacité. On passe plus d’heures pour faire le même boulot, mais plus étalé.

Stagnation de la productivité: trois explications possibles

Je vois au moins trois explications.

D’abord il y a peut-être un effet de saturation. J’ai vu récemment une étude qui montre que les coureurs à qui l’on demande de maintenir leur vitesse à 85% de leurs capacités courent au final plus vite que quand ils donnent tout. C’est peut-être la même chose qui se joue ici.

Cela dit, je n’y crois pas. Ça supposerait qu’on était comme par hasard pile à une durée optimale avant le télétravail alors que la durée du travail est très différente selon les pays et a beaucoup varié dans les dernières décennies. Peu probable, donc.

La deuxième explication, plus crédible, est à rechercher du côté du management. La distance nécessite une plus grande autonomie ou une plus grande formalisation quant aux attendus. Comme ni l’une ni l’autre ne sont très développés dans la majorité des entreprises que je visite, il y a fort à parier qu’une partie de ce temps de travail supplémentaire est perdu en aller-retours sur des incompréhensions et du travail inutile.

La troisième piste, à laquelle je crois beaucoup, c’est qu’avec le télétravail massif on perd le bénéfice invisible de la machine à café.

Ce que je veux dire par là c’est que le travail tout à distance oblige à provoquer les échanges avec ses collègues. On ne se voit que parce qu’on a une réunion, avec son ordre du jour et ses participants bien cadrés. Ça laisse peu de place à l’informel et encore moins à l’improviste.

Le social a son importance dans la productivité

Les micro transactions, comme le fait de passer une tête dans le bureau d’un collègue pour lui demander une info, les échanges imprévus dans la queue de la cantine, la diffusion de l’info par osmose au sein d’un open-space… tous ces petits échanges d’informations sont très utiles pour ajuster la compréhension mutuelle du contexte et la pertinence des décisions.

Leur disparition s’ajoute probablement au facteur managérial et amplifie les désalignements, les tensions interpersonnelles et nuit globalement à l’efficacité du travail.

Et c’est dommage car, dans le même temps, le télétravail pourrait permettre une meilleure qualité de vie, et même de travail, quand celui-ci demande plus de concentration que d’interactions.

Comme patrons, comme managers, je crois donc qui nous devons en tirer quelques leçons :

D’une part, il ne faut peut-être pas aller au-delà d’un certain seuil.

Le travail hybride avec 2 jours en télétravail et 3 jours au bureau s’installe comme standard et les études semblent montrer que l’on s’adapte et que ça n’a pas d’incidence profonde sur la dynamique du groupe ni sur l’équilibre psychique.

Mais surtout je crois qu’il faut revisiter les liens entre la nature du travail et le lieu de travail.

Trouver un entre deux qui fonctionne

Certaines activités bénéficient de l’isolement et de la déstructuration des horaires que permet le télétravail. Je me trouve par exemple beaucoup plus efficace pour écrire, mener des recherches ou faire mes notes de frais chez moi qu’au bureau.

Inversement j’ai besoin d’être au bureau en même temps que mes collègues pour concevoir un nouveau produit, réfléchir à une intervention ou préparer une réunion à enjeu. Et, bien sûr, pour faire du management de proximité.

Selon la nature des missions de chacun, il y a sans doute à réfléchir au bon équilibre entre temps collectifs et temps individuels télétravaillés.

Le deuxième axe de réflexion tient à la nature même du télétravail : à distance, le contrôle de la présence et du temps de travail effectif devient vain.

Pour que ce travail en autonomie ne devienne pas une source de suspicion, de tensions, il faut revenir à la mission, remplie ou pas, et donc à la valeur ajoutée du travail fourni.

Je crois que c’est une évolution nécessaire et souhaitable car elle remet en lien l’effort fourni et la valeur du résultat auquel il contribue. Cela responsabilise nos collaborateurs et donne une finalité, et donc du sens, à leur travail.

Cela dit, cela va aussi poser une question dérangeante : si je suis piloté uniquement par un résultat à fournir, et que je travaille seul, en autonomie et sans moments collectifs, à quel moment le salarié que j’étais devient-il un prestataire ?

Pour aller plus loin :

Le télétravail permet de gagner des heures par semaine :

Le bilan du télétravail en termes de productivité n’est pas clair :

Marc Benioff, le patron de Salesforce, soulève une question intéressante :


Ce texte a été originellement publié dans L’hebdo de Mille Mentors, le petit mail qui fait du bien le dimanche soir : une réflexion comme celle-ci, inspirée par l’actualité de la semaine, puis quelques pépites relevées dans ma veille et une pastille détente. Pour en profiter chaque semaine en avant-première, abonnez-vous.

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