[Cette chronique a d’abord été publiée dans la newsletter du 17 février 2024. Abonnez-vous]
« 99 % des gens sont médiocres. Enfin c’est même pas tellement qu’ils sont médiocres. C’est surtout qu’ils n’essayent même pas »
Cette déclaration de Paul Saint-Saëns, dans le podcast Le Trilliard en choquera sans doute plus d’un, mais j’en ai eu une illustration saisissante tout récemment. Et je me suis dit que ça pouvait être un bon sujet de chronique que de discuter de cette affirmation, mais surtout de ce qu’on peut faire pour (a) éviter de finir dans les 99% de médiocres et (b) développer cette attitude chez nos collaborateurs.
Mais revenons en arrière, quelques minutes.
Un manque de volonté ?
Il y a deux semaines, je faisais une intervention dans un collège, pour 100 000 entrepreneurs. Nous étions six professionnels à échanger pendant une matinée avec des jeunes de troisième, dans le cadre de leur semaine d’orientation professionnelle, pour illustrer l’entrepreneuriat comme une voie d’orientation et d’épanouissement. Une partie des élèves étaient en classe Euro et avaient un bon niveau d’anglais, suffisant en tous cas pour que la discussion ait lieu dans cette langue, comme l’avait souhaité leur professeur.
À la pause, nous discutons entre intervenants, Melissa, Émile (qui est abonné à Mille Mentors et que je salue au passage 😉 ) et moi-même. Et, justement, Business Class, l’entreprise d’Émile, propose des cours d’anglais aux professionnels. Melissa l’interroge sur sa clientèle.
Émile nous a surpris : « Je pensais au début que mon business allait disparaître, car les jeunes allaient tous avoir un très bon niveau d’anglais, mais ma clientèle d’aujourd’hui c’est essentiellement des jeunes ingénieurs débutants, que leur entreprise envoie suivre des cours car ils ont besoin de travailler dans un contexte international et que leur niveau d’anglais est insuffisant. »
Étonnement, et même incompréhension totale, de Melissa : elle évolue dans un environnement de start-up technologique, où il est d’usage courant d’investir une partie de son temps à se former pour rester toujours à la pointe des dernières techno. En tous cas, on sent que c’est ce qu’elle fait elle-même et elle ne conçoit pas que l’on puisse raisonner autrement quand on est dans un métier technique.
Emile lui répond que, peut-être que dans sa boîte les gens le font spontanément, mais que, dans sa propre expérience, « Bon courage pour motiver des salariés à prendre du temps volontairement pour améliorer leurs compétences après avoir fait leur boulot du jour ».
Une appétence naturelle
Ma propre expérience est sans doute à mi-chemin entre leurs deux points de vue.
D’un coté, j’ai la chance d’avoir chez Goood des collaborateurs pour qui progresser, devenir meilleur, est une motivation intrinsèque.
Mais je pense qu’il y a un biais. Étant moi-même quelqu’un qui adore apprendre, j’ai sans doute choisi un métier d’expertise car ça me donnait une bonne raison économique à ce qui est d’abord une appétence naturelle.
Et, lors de la création de l’entreprise, nous avons, dès le début, installé une culture dans laquelle il est non seulement normal, mais attendu des collaborateurs qu’ils progressent constamment, et que c’est organisé. Cela attire donc naturellement des collaborateurs pour qui c’est une source de motivation. Il y a un biais de recrutement (littéralement.)
Mais, à côté de ça, j’ai aussi eu l’occasion de constater, comme Émile, que c’est loin d’être le cas pour une majorité des gens, même dans des métiers techniques, n’en déplaise à Melissa.
Pendant plusieurs années j’ai animé, une fois par mois, les « Coding Breakfast » de Alt.Net, une communauté de développeurs logiciels, selon le principe d’un dojo de code.
Un dojo de code, ainsi nommé en référence au dojo d’arts martiaux, c’est un endroit, ou plutôt un moment, où on se réunit entre praticiens pour s’entraîner sur des exercices courts et relativement simples qui permettent de travailler des fondamentaux du métier. C’est ce qu’on appelle des kata de code, là encore par analogie avec les arts martiaux.
Ce dojo avait donc comme proposition de valeur de permettre à des programmeurs d’affûter leurs compétences pour devenir de meilleurs développeurs.
Le biais de l’amélioration
Concrètement, on se réunissait une fois par mois sur l’heure du petit déjeuner (d’où le nom de Coding breakfast) pour traiter en binôme un problème que j’avais imaginé (ou choisi dans un catalogue de problèmes classiques). Après la présentation de l’exercice du jour, chaque paire avait 45 minutes pour imaginer et programmer une solution, parfois avec des contraintes (par exemple : ne pas utiliser d’instruction « si… alors », ou ne pas utiliser de structure de boucle…).
À la fin des 45 minutes, le groupe se réunissait, chaque binôme présentait sa solution au vidéoprojecteur, et on faisait un petit débat critique avec le groupe pour comparer les mérites et les défauts des différentes solutions, le tout en mangeant des croissants et en buvant du café.
C’était gratuit, convivial et très apprenant, et ça aurait donc dû avoir un succès fou auprès des jeunes professionnels qui voulaient briller.
Et bien, sur les trois ou quatre ans où j’ai animé ce Coding Breakfast (plus quelques Coding Mojito à l’heure de l’apéro), je n’ai quasiment jamais eu de participants qui ne soient pas déjà des experts dans leur domaine. Et de très haut niveau. Les participants les plus fidèles étaient des CTO de startups très connues pour leur exigence technique et des français à la réputation mondiale dans leur domaine technologique.
Cet atelier qui était ouvert à tous, qui aurait apporté le plus de valeur à des débutants ou des jeunes, dont les marges de progression sont immenses et à qui ces exercices auraient le plus profité, n’était pris au sérieux, et investi, que par des gens qui n’en avaient pas vraiment besoin.
Là encore, il y a, je crois, un biais de recrutement : ce sont les personnes qui voient de l’intérêt à développer leurs compétences qui participent. Et elles ont déjà un très haut niveau de compétences, parce qu’elles ont depuis longtemps saisi toutes les occasions de s’améliorer.
Le perfectionnisme, le secret des experts
Le vrai-faux secret des experts est là : ceux qui deviennent les plus experts, et qui ont peut-être moins besoin que les autres de se perfectionner, sont justement ceux qui ne se considèrent jamais suffisamment experts et ne cessent jamais de perfectionner leur art.
Leur expertise pourrait leur permettre de se passer de ces entraînements, mais pas leur attachement à la progression constante. Et c’est cet attachement qui fait leur expertise.
Il n’y a sans doute pas de hiérarchie naturelle des talents mais plus probablement une hiérarchie des compétences, naturellement issue d’une hiérarchie des pratiques.
C’est en tous cas la théorie des 10 000 heures popularisée par le livre Outliers de Malcom Gladwell, avec quand même une grossière erreur.
Car Gladwell tire ses affirmations des travaux de Karl Anders Ericsson qui a ensuite affiné et précisé ses analyses et il a très vigoureusement démonté l’hypothèse des 10 000 heures de pratiques qui font l’expertise.
Au contraire, Ericsson a montré dans une étude sur les diagnostics médicaux qu’un médecin avec 20 ans de pratique avait un moins bon diagnostic qu’un médecin avec le quart de son expérience lorsqu’il avait un état d’esprit de satisfaction vis à vis de ses compétences professionnelles. Les meilleurs diagnosticiens ne sont pas ceux qui cumulent le plus de pratique mais ceux qui cumulent le plus de pratique dans la recherche d’une amélioration constante de leurs capacités diagnostiques.
Une différence dans l’état d’esprit, qui fait toute la différence dans les compétences.
La pratique délibérée et la méthode pour devenir meilleur
Je prépare actuellement une vidéo pour la chaîne Youtube Mille Mentors sur la pratique délibérée et la méthode pour devenir meilleur que n’importe qui, sur n’importe quel sujet. C’est le moment de vous abonner.
D’abord en ayant en tête les bénéfices de l’expertise, ou même simplement de l’accroissement de ses capacités.
Au-delà de la satisfaction qu’il y a à dépasser ses propres limites, à s’augmenter, que l’on éprouve quand on comprend enfin quelque chose qui nous résistait, ou que l’on réussit une performance qui était hors de notre portée il y a encore un an, il y a également un intérêt pragmatique :
Améliorer ses compétences permet de gagner en efficacité. J’ai par exemple passé des mois à m’entraîner chaque jour pour améliorer ma vitesse de frappe, à dix doigts et sans regarder le clavier. Ou à apprendre les raccourcis clavier de ma messagerie et de mon navigateur web, pour limiter les manipulations de la souris. Cela me fait gagner un temps précieux, chaque jour.
Améliorer ses compétences augmente les chances d’améliorer ses compétences : plus on est compétent, plus c’est à nous qu’on va s’adresser quand il y a un sujet à enjeu, ou un peu difficile. Et donc un sujet où on va apprendre des choses nouvelles. C’est la mécanique du puits de sciences où les plus sachants deviennent toujours plus sachants.
De toute évidence, améliorer ses compétences donne donc un avantage concurrentiel sur tous ceux qui ne l’ont pas fait, quel que soit le niveau initial et l’ampleur de l’amélioration. Comme je l’ai lu un jour : ceux qui lisent un seul livre par an lisent quand même beaucoup plus que ceux qui ne lisent pas du tout.
Améliorer ses compétences augmente les opportunités qui s’offrent à nous. Un de mes copains qui a investi très tôt les outils nocode et IA pour automatiser une grande partie de son business, a développé très rapidement une forme d’expertise qui a amené d’autres entrepreneurs à le consulter et, de fil en aiguille, lui a ouvert l’opportunité de créer une formation en ligne pour un créateur connu, ce qui lui procure un petit revenu additionnel tous les mois.
Enfin, il faut avoir à l’esprit que chaque jour où l’on ne progresse pas est un jour où l’on prend du retard sur quelqu’un qui, lui, a consciemment choisi d’investir dans ses capacités.
Bref, améliorer ses compétences possède son propre cercle vertueux car, comme tout capital, le capital de connaissances verse des intérêts cumulés : plus on apprend …
- plus c’est facile d’apprendre,
- plus on a d’occasions de le faire,
- plus on a de plaisir à le faire
- plus on développe un avantage concurrentiel
- plus on en tire de bénéfices concrets, en termes d’efficience ou d’opportunités
À ce stade, si je n’ai pas réussi à vous convaincre de l’intérêt, de l’enjeu et de l’impérieuse nécessité d’apprendre constamment, j’abandonne. Vous pouvez fermer ce mail et revenir à vos activités normales.
Comment s’améliorer: quelques points clés
Si, en revanche, vous êtes convaincu·e mais désespéré·e, car vous ne savez pas comment vous y prendre, vous allez avoir besoin de ma vidéo sur la méthode pour apprendre plus vite que les autres. Mais voici déjà quelques clés.
Je vous suggère :
- de vous tenir à un haut niveau d’exigences envers vous-même, avec une grande bienveillance. Reconnaissez que vos performances sont insuffisantes mais reconnaissez aussi que vous faites de votre mieux et que ce n’est pas grave tant que vous travaillez à grandir. Personne n’a jamais gagné les Jeux Olympiques en étant satisfait d’être moyen, mais personne ne l’a fait non plus en se méprisant de n’avoir pas déjà gagné.
- de vous rapprocher d’autres personnes qui ont cette même exigence avec elles-mêmes, qui la trouve naturelle, qui ont plein de choses à partager et qui valorise l’apprentissage.
- de vous donner de tout petits objectifs de progrès. Le but n’est pas de faire de grands bons mais de repousser d’un petit cran votre limite actuelle.
- de vous concentrer sur un seul aspect à la fois. Par exemple, si vous voulez améliorer vos compétences managériales, vous pouvez les raffiner en sous sujets, puis en sous sujets jusqu’à arriver à un geste, comme par exemple, l’écoute pendant les 1à1. Vous allez alors travailler spécifiquement ce «geste», jusqu’à avoir atteint votre objectif qui peut être d’être capable de faire parler un collaborateur 10 minutes sans le couper. Vous passerez alors à un autre sujet, quitte à revenir sur celui-ci plus tard, avec un nouvel objectif, plus élevé, quand çe sera à nouveau votre facteur limitant.
- de vous donner des occasions de pratiquer, et leur donner un enjeu ou une motivation. J’ai souvent proposé de faire une présentation sur un sujet que je commençais à cerner, ce qui m’obligeait à aller un cran plus loin pour être capable de l’expliquer clairement.
- de trouver des moyens de visualiser vos progrès ou, à défaut, vos efforts. Duolinguo motive ses utilisateurs à s’exercer chaque jour en affichant clairement en haut de l’écran la série. Quand cela fait 120 jours d’affilée que vous faites votre entraînement quotidien, vous ne voulez pas lâcher et revenir à zéro. Résultat : plus de 2 millions de personnes ont une série supérieure à 365 jours.
- et, enfin, de cultiver une attitude d’observation et de curiosité : tiens, il se passe un truc inattendu, c’est intéressant, ça ne colle pas avec mes connaissances actuelles, il y a sans doute un truc à apprendre.
On se retrouve dans quelques semaines sur Youtube mais, comme la vidéo est encore en phase d’écriture, j’adorerai avoir vos contributions :
Quelles sont vos astuces, vos difficultés, vos questions ? Ça pourrait même faire un numéro collaboratif dans quinze jours si vous êtes nombreux ou fertiles.
Pendant ce temps, moi je retourne travailler mes compétences pédagogiques, en préparant la vidéo 😉
Pour aller plus loin:
L’extrait du Trilliard que je citais en introduction
La première vidéo que j’ai sortie, sur un sujet proche :
Machine à cloner : la méthode pour transmettre son expertise
Deux chroniques que j’avais déjà écrites sur le sujet :
Le secret pour atteindre ses objectifs
Comment apprendre à apprendre ?
Le TED du fondateur de Duolinguo :
How to Make Learning as Addictive as Social Media | Luis Von Ahn
Une citation de Cal Newport (So Good They Can’t Ignore You)
Cette volonté de mettre à l’épreuve ses capacités et de recevoir un feedback immédiat est au cœur d’un principe plus universel, dont je suis de plus en plus convaincu qu’il est la clé de l’acquisition d’un capital professionnel dans presque tous les domaines.
Ce texte a été originellement publié dans L’hebdo de Mille Mentors, le petit mail qui fait du bien le dimanche soir : une réflexion comme celle-ci, inspirée par l’actualité de la semaine, puis quelques pépites relevées dans ma veille et une pastille détente. Pour en profiter chaque semaine en avant-première, abonnez-vous.
PS : Cette chronique bimensuelle est gratuite. Si vous lui trouvez de la valeur, vous pouvez m’offrir un café (ou plus 😉 sur Tipee.