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Devenir de meilleur.e.s dirigeant.e.s

[Cette chronique a d’abord été publiée dans la newsletter du 19 Juin 2022. Abonnez-vous]

Dimanche dernier, je vous ai interrogé sur le cœur de métier du dirigeant. Parmi toutes nos prérogatives, responsabilités ou fonctions de direction, quelle est celle que nous ne pouvons jamais déléguer, même à quelqu’un de très compétent ?

Ou, inversement, si on la délègue en nommant ou en recrutant une personne pour la placer à la tête d’une entreprise, ou d’un département, on peut se demander ce qu’on lui confie comme responsabilité et comme prérogatives ?

La Vision: évidence ou fausse piste ?

Vous avez été plusieurs à me répondre (merci !) et une réponse est revenue très souvent : «La Vision !».

Telle quelle, avec le V majuscule et le point d’interrogation, à croire que vous faisiez un copié/collé les uns des autres 😉

Certaines ont précisé leur réponse «Une vision (pas juste un objectif) et une capacité à embarquer les équipes» ou « La Vision ! Je considère qu’on ne peut pas déléguer cela…Mais je peux faire participer à son élaboration. »

Bref, la vision fait quasiment l’unanimité. Pourtant, ce n’est pas ma réponse.

D’une part, je crois que beaucoup de dirigeant.e.s n’ont pas vraiment de vision. D’autre part, on peut la faire élaborer par des consultants ou par ses équipes. Et, enfin, on peut diriger une filiale ou un département qui s’inscrit dans la vision de l’entreprise.

Non, pour moi, ce n’est pas ça le cœur du métier de chef.fe

Le premier rôle d’un.e dirigeant.e, c’est la prise de décision

J. a eu une drôle de manière de tourner autour du pot en me répondant « Décider quand la décision est irréversible » mais c’est bien ça, à mon avis, la vraie responsabilité des dirigeant.e.s : décider pour les autres.

Même lorsqu’on laisse ses équipes décider seules sur un sujet, cela s’inscrit dans un cadre où nous avons décidé de les laisser décider.

La réponse était d’ailleurs cachée en évidence parmi les synonymes du mot chef : « décideur, décideuse. Personne physique ou morale habilitée par ses fonctions ou sa position à décider, à orienter ou bien à faire prévaloir une décision. »

C’est bien parce que l’on décide pour les autres que l’on est responsable de leurs actes.

Et c’est parce qu’on est responsable qu’on est légitime à trancher.

En tant que consultant je rappelle souvent cette vérité à mes clients : j’ai un avis, une expertise, je leur donne des conseils mais, au bout du compte, ils seront seuls responsables de leurs décisions (ou de leur indécision). Les choix qu’ils font doivent donc être les leurs, entièrement, et ils doivent être faits en conscience.

Je considère d’ailleurs que c’est mon rôle de consultant : éclairer leur décision en mettant en lumière des options et leurs conséquences, pas dicter une décision.

Que penseriez-vous d’un « responsable » qui, devant ses actionnaires, ses salariés ou les médias, n’aurait comme explication de ses actes qu’un pauvre « C’est ce que le cabinet de conseil m’a dit de faire » ?

Je crois donc que l’essence du métier de chef.fe c’est de décider. Et c’est difficile.

Mieux décider pour mieux diriger

Il y a des décisions évidentes mais douloureuses. Il y a des décisions engageantes et risquées. Il y a des décisions qui semblent impossibles, avec que des mauvaises options. Il y a des décisions dont on sait qu’elles vont nous valoir les reproches de notre entourage mais qu’on estime nécessaires…

Se préparer à diriger, ou s’améliorer comme dirigeant.e c’est donc développer ses capacités de décision.

Premièrement, pour mieux décider, il faudrait renforcer nos capacités à identifier la situation, à reconnaître la nécessité et la nature d’une décision à prendre. On peut parler de discernement, ou de construction de la décision.

C’est sans doute ce qu’A. avait en tête en me répondant « la connaissance de ses salariés. Les enquêtes de satisfaction vont en effet pouvoir donner une vision globale mais les questions sont toujours plus ou moins orientées et elles limitent la liberté d’échange. Et pour les mêmes raisons : la connaissance de ses clients et de leurs attentes (et je ne parle pas ici de marché car pour le coup, je trouve que les études et analyses de marché peuvent être assez pertinentes) ».

C’est intéressant : mieux connaître ses collaborateurs et ses clients car la pertinence d’une décision résulte plus de son acceptation par ses parties prenantes que de la « vérité » technique de l’expert en marketing/finance/rh… ce qui nous renvoie à la discussion de dimanche dernier sur les hard skills du dirigeant.

Assumer ses décisions

Deuxième facette, la capacité à trancher, à être décisif. J’ai trop vu des équipes et des entreprises partir à la dérive en l’absence de décision claire sur un sujet critique, souvent alors même que la décision semble prête mais que le décideur a du mal à l’assumer.

Or c’est bien là le cœur du sujet : le job du dirigeant c’est bien d’assumer la responsabilité de la décision et de ses conséquences.

Ce qui nous mène tout droit au troisième axe de travail pour devenir d’excellents décideurs : la capacité à assurer le succès de sa décision, et donc, souvent, de faire en sorte que celle-ci soit comprise, acceptée, mise en œuvre et suivie dans le temps.

Tout ceci étant posé, revenons à notre question initiale : que l’on soit patronne d’une entreprise ou chef d’un département, qu’est-ce qui peut faire de nous de meilleurs décideurs ?

En réfléchissant à ce qui va impacter la qualité de nos décisions, j’ai identifié 5 compétences que chacun de nous peut s’employer à développer :

1 – Apprendre à se connaître

Nous sommes la constante et le maillon faible de toutes nos décisions. Mieux se connaître c’est se donner une chance de faire la différence entre ce qui est de la perception (de la situation) ou de la projection (de nos peurs ou de nos envies). Il faut s’entraîner à déjouer ses propres biais ; apprendre à assumer ses choix ; savoir s’auto-manipuler intelligemment pour garder le cap.

2 – Apprendre à prendre soin de soi

Toutes les études le montrent, le facteur qui impacte le plus la qualité de nos raisonnements c’est notre état émotionnel, lui-même très largement conditionné par notre état physique. Méditation, sommeil, alimentation, prise en compte de ses biorythmes … prendre soin de soi ce n’est pas de la faiblesse ou de l’indulgence, c’est de l’intelligence tactique.

3 – Apprendre à trancher

Charles Pépin en parle dans son livre sur la confiance en soi, la décision relève toujours de l’incertitude, sinon il n’y a rien à décider. Recueillir des informations est important et l’on peut apprendre à questionner, à chercher, à trier et hiérarchiser l’info mais il faut aussi savoir évaluer une situation avec plein d’inconnues, arrêter les recherches, raisonner en complexité, sortir de l’incertitude en prenant une décision puis mettre son énergie et son attention à faire que la décision devienne bonne.

4 – Apprendre à communiquer

Les gens agissent à partir de la représentation qu’ils se font de la situation: Une communication claire et efficace influence la représentation ; c’est une condition de l’action. Apprendre à écrire, à parler en public, à faire savoir, à persuader et à influencer : un jeu de clés indispensable pour diriger.

5 – Apprendre à apprendre

C’est LA méta compétence. La compétence des compétences, celle qui permet d’acquérir toutes les autres. Apprendre à questionner, construire et faire vivre sa propre galerie de modèles mentaux, raisonner par hypothèses et expérimentation, explorer la philosophie, mais aussi améliorer sa technique de lecture, de prise de note, de mémorisation, de mise en réseau et d’organisation des informations, c’est une voie de progression constante et constamment gratifiante.

Enfin, pour au-delà de ces cinq compétences fondamentales, je pense que l’on peut également améliorer largement nos qualités de décideurs en travaillant trois sujets qui viennent souvent polluer nos décisions :

  1. Nettoyer son rapport à l’argent et les liens qu’elle entretient avec notre égo.
  2. Améliorer notre organisation personnelle, pour que ce soit nos décisions conscientes qui gouvernent notre gestion du temps et des priorités et pas l’inverse.
  3. Développer notre intelligence relationnelle pour les mêmes raisons.

Et vous, en voyez-vous d’autres ? Travaillez-vous déjà ces cinq compétences racines ?

Pour aller plus loin :

  • Martin me signale (merci !) que la Harvard Business Review fête ses 100 ans avec un recueil de 12 textes fondateurs. Parmi ceux-ci elle met en ligne gratuitement pendant quelques jours l’article de Peter Drucker sur le management de soi-même, ce que le maître considérait être la discipline fondamentale des dirigeants : Managing Oneself
  • Concernant la décision en incertitude, je vous recommande Thinking in Bets, écrit par une docteure en psychologie devenue joueuse professionnelle de poker.
  • Deepwork, de Cal Newport ou Les 12 lois du cerveau, de John Medina vous donneront des clés intéressantes sur votre fonctionnement cognitif, à moins que vous soyez plus intéressé.e par apprendre Pourquoi nous dormons
  • Enfin, pour apprendre à apprendre je vous conseille Une tête bien faite de Tony Buzan ou les Great Mental Models du blog Farnam Street.

Ce texte a été originellement publié dans L’hebdo de Mille Mentors, le petit mail qui fait du bien le dimanche soir : une réflexion comme celle-ci, inspirée par l’actualité de la semaine, puis quelques pépites relevées dans ma veille et une pastille détente. Pour en profiter chaque semaine en avant-première, abonnez-vous.

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