[Cette chronique a d’abord été publiée dans la newsletter du 27 novembre 2022. Abonnez-vous]
C’est parfois extrêmement frustrant. On voit clairement les choses, on sait ce qui ne va pas, ce qu’il faut faire, mais on n’arrive à rien :
«Ils» ne sont pas motivés, «ils» ne voient pas, «ils» ne veulent pas comprendre …
Et si, plutôt que de parler de ce qu’«ils» ne font pas, je regardais ce que je ne fais pas bien.
Enfin, surtout, ce que je ne dis pas bien.
Le pouvoir du langage
Comme dirigeant, comme manager, comme consultant, mon travail et mon pouvoir n’ont aucune réalité matérielle.
Je ne travaille pas avec mes mains, mais avec mes idées.
Et, comme on n’a pas encore développé la transmission de pensée, 100% de mes actions sont en réalité portées par mes mots.
Je trouve ça incroyable.
Mes mots peuvent changer le monde.
Mes mots ont du pouvoir. Ils sont porteurs d’énergie.
Cela confère au langage un pouvoir et un enjeu : car le langage a la capacité de guérir ou de blesser.
Est-ce que vous vous souvenez d’un moment où quelqu’un vous a adressé un mot qui vous a marqué ?
C’était peut-être la première fois où vous avez reçu un compliment vraiment précis, ou la fois où un ami, un frère ou une sœur vous a vexé, ou humilié, mais dans tous les cas, cela vous a marqué.
Je me souviens aussi de circonstances où mes mots ont dépassé ma pensée et où j’ai blessé des gens par mes paroles.
Cette expérience nous rappelle que ce que nous disons a du poids, et du pouvoir.
Être responsable cela veut dire être attentif à la façon dont on utilise les mots, et particulièrement quand on est en situation d’autorité.
Choisir ses mots pour de meilleures relations
Plus nous devenons conscients de cette responsabilité, plus nous approfondissons notre relation avec les mots que nous utilisons, plus nous approchons d’un idéal où nous maîtrisons et ressentons réellement ce que nous disons.
Les mots ne sont pas des entités abstraites et déconnectées, utilisées uniquement pour transmettre un sens ; ils sont aussi, et peut-être même d’abord de puissants transmetteurs de sentiments.
La fin d’année est une période propice aux bilans et aux fins de cycles. Et si nous en profitions pour faire un travail sur notre langage ?
Au cours des prochaines semaines, nous pouvons choisir de revisiter notre relation avec celles et ceux qui nous entourent et qui sont importants pour nous.
On peut s’entraîner à remarquer comment les mots que l’on dit et que l’on entend affectent notre corps et notre état émotionnel. Remarquer comment les différents styles de communication des personnes de notre entourage nous font nous sentir.
Et, dans le même temps, observer attentivement comment nos propres mots s’expriment et quel effet ils ont sur les personnes qui nous entourent.
On peut aussi tenter quelques changements, et voir ce qu’ils nous enseignent.
S’écouter, et écouter les autres
Vous remarquerez peut-être que lorsque nous parlons rapidement, sans réfléchir, ou que nous nous précipitons pour faire passer nos idées, nos mots n’ont pas la même force que lorsque nous parlons lentement et avec confiance, en laissant à ceux qui reçoivent nos mots le temps et l’espace pour les assimiler.
Lorsque nous écoutons attentivement les autres avant de parler, nos mots ont plus d’intégrité, et lorsque nous prenons le temps de nous recentrer avant de parler, nous commençons vraiment à exploiter le pouvoir de la parole.
Pour bien finir l’année, demandons-nous ce que l’on veut changer, dans nos relations à qui, et soyons attentifs à notre langage.
Nos mots peuvent alors devenir des messagers intelligents de réparation et de soin, transmettant des sentiments profonds et positifs à ceux qui les reçoivent.
Ils peuvent également devenir des messagers puissants de changement et d’animation, transmettant le désir et la possibilité d’accomplir de grandes choses.
Nous avons le pouvoir de changer notre monde. Nous avons le pouvoir de parler.
Alors, parlons !
Pour aller plus loin :
Deux livres pour transformer son langage.
How the Way We Talk Can Change the Way We Work: Seven Languages for Transformation de Robert Kegan et Lisa Lahey.
Je ne dirai sans doute jamais assez tout le bien que je pense de Kegan et Lahey, dont les 3 livres (celui-ci donc, mais aussi “an everyone culture” et “immunity to change”) sont remarquables.
Seven Languages interroge une question importante : pourquoi y-a-t’il autant d’écart entre ce qu’on souhaite, et décide, et ce que nous faisons ? Parce que nous agissons en cohérence avec notre vision du monde et de nous-même.
Notre volonté ne change pas nos modèles mentaux et nous finissons toujours par reproduire les mêmes situations et comportements.
Kegan et Lahey répondent à ce problème avec une hypothèse intéressante : notre langage traduit nos modèles mentaux. En changeant notre manière de parler du monde, on change nos représentations sous-jacentes et cela transforme notre comportement.
Le livre propose 4 transformations individuelles dans la manière de parler de soi et du monde et 3 transformations collectives dans la manière d’interagir au travail. Un bouquin très puissant.
Conversations Cruciales: savoir et oser dire les choses
Un excellent livre, que j’ai déjà recommandé ici d’ailleurs. Une conversation cruciale c’est une conversation dont l’enjeu est élevé, le sujet émotionnel ou délicat, et l’interlocuteur une personne importante. Et c’est justement la combinaison de ces trois facteurs qui tend à nous faire faire des erreurs. Le livre donne des clés très concrètes pour mener ses conversations de manière satisfaisante. Je trouve qu’on devrait l’enseigner au collège 😉
Mais aussi
Le choix des mots (n’est jamais neutre)
Un blog qui décrypte le choix des mots utilisés dans les médias pour parler d’un événement.
Un peu comme le fait Daniel Schneidermann avec Arrêt sur images.
Une citation d’Abraham Lincoln : « Celui qui a une bonne idée mais ne sait pas la vendre n’est pas plus avancé que celui qui n’en a pas. »
La chaîne Youtube de Victor Ferry, l’incontournable maître en rhétorique qui a redonné ses lettres de noblesse au débat et à l’art du discours.
Et un site très pratique pour trouver les mots : https://inspirassion.com/fr/
Ce texte a été originellement publié dans L’hebdo de Mille Mentors, le petit mail qui fait du bien le dimanche soir : une réflexion comme celle-ci, inspirée par l’actualité de la semaine, puis quelques pépites relevées dans ma veille et une pastille détente. Pour en profiter chaque semaine en avant-première, abonnez-vous.