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Regardez votre entreprise comme un investisseur

Un héritage pas comme les autres

Imagine … tu es tranquille chez toi à profiter d’un pont de Mai lorsqu’un notaire te contacte : un vieil oncle, dont tu entendais parler quand tu étais enfant parce qu’il avait « quitté une bonne situation pour créer son affaire », est mort sans descendance et il t’a nommé son successeur… sous conditions.

« De toute la famille, il n’y a que toi qui a vraiment les capacités pour reprendre. Je vais te léguer mes parts (51 %). Et assez d’argent pour racheter celles de mon associé, si tu le souhaites. Il aurait la capacité de racheter, lui aussi, mais j’aimerais que ça reste dans la famille si tu le veux ; c’est à toi de décider puisque tu auras la majorité si tu acceptes ce leg. En revanche, dans ce cas, tu dois t’engager à garder l’entreprise au moins 10 ans de plus et à la développer. »

Que fais-tu ? Est-ce que l’entreprise du tonton est un don du ciel ou un cadeau empoisonné ? Et comment en décider ?

Avant de lire la suite, je t’invite à faire pause 2 minutes et à noter sur un papier ou dans un coin de ton téléphone les questions que tu poserais au notaire et les points que tu chercherais à vérifier. 

C’est fait ? Revenons à ma petite histoire hypothétique…

L’art de poser les bonnes questions

Tu échanges avec le Notaire, qui a pour instruction de répondre à toutes tes questions mais de ne surtout pas chercher à t’influencer. Tu as donc plein d’infos sur la boite mais pas forcément les clés de lecture. 

Heureusement tu as quelques copains entrepreneurs qui ont eux-mêmes repris ou racheté des entreprises. 

Tu les invites tous les 4 à venir dîner pour leur montrer le dossier et avoir leur avis et, rapidement, tu comprends que tu as bien fait, parce que c’est pas du tout un truc intuitif. 

Comme te l’explique Farid : « Quand j’ai vendu ma boite, ça a été un peu un choc : le repreneur ne regardais pas mon entreprise comme moi. Il ne s’intéressait pas à l’histoire, au courage qu’il a fallu pour la créer, ni aux sacrifices. Il voulait juste savoir ce que la boîte vaut vraiment, et ce qu’elle peut devenir. Ce qu’elle représente pour moi qui l’ai fondée, il s’en fichait. »

Et Stéph’ ajoute « Toi c’est pareil. Ton oncle y a surement mis tout son cœur dans sa boite, mais, toi, tu dois savoir si tu embarques pour dix ans de galère ou pour une aventure prometteuse. Il faut que tu utilises une grille d’évaluation comme les fonds quand ils rachètent une entreprise.» 

Et c’est là que ça devient instructif : ils n’ont pas du tout les mêmes priorités. 

Chiffres et rentabilité : une base pour évaluer son entreprise

Sophie gère des participations pour la holding familiale de son père. Avec elle, c’est pas compliqué, il faut regarder les chiffres : 

  • Comment est la rentabilité ? Est-ce que la boîte dégage une bonne marge ?
  • Et le cashflow ? Est-ce que les flux de trésorerie sont prévisibles ? Est-ce que l’entreprise pourrait financer la croissance ou il n’y a pas assez de fond de roulement ? 
  • C’est quoi le niveau de dette ? Y-a-t’il des leviers de financement en cas de coup dur ? Au contraire, est-ce qu’il y a des clauses dans les contrats d’endettement qui pourraient se retourner contre toi ?

Steph’ tempère, « les chiffres c’est important, mais si tu ne veux pas te retrouver à bosser jour et nuit, surtout dans un business comme celui-là, t’as intérêt à vérifier comment tournent les opérations » : 

  • Est-ce que le chiffre d’affaires est renouvelé d’une année sur l’autre, à quelle hauteur ? Est-ce qu’il y a des process et une équipe pour ramener des clients, ou est-ce qu’on espère chaque trimestre que les commandes vont tomber à temps ? 
  • Est-ce que l’outil de production est solide ou peut être industrialisé ? Est-ce que les outils de travail et les locaux sont modernes et adaptés ?
  • Est-ce qu’il y a des processus fiables ? Est-ce qu’on sait former rapidement des nouveaux opérateurs ? 
  • Et, surtout, est-ce que la boite peut tourner sans ton oncle, son fondateur ? 

Potentiel de marché et positionnement

Farid, fidèle à lui-même, prend du recul et trouve que ça n’est pas suffisant : « l’entreprise de ton oncle n’est pas jeune ; il faut regarder le potentiel du marché sur lequel tu vas te retrouver à opérer. » 

  • Est-ce que l’entreprise est bien positionnée dans un secteur porteur… ou en train de mourir à petit feu dans un secteur en déclin où tout le monde se bat pour les mêmes quelques clients qui ont encore les moyens ?
  • Est-ce que l’entreprise a la capacité de défendre ses prix ? Une proposition de valeur claire et différenciée, ou est-ce que la compétition se fait uniquement sur les prix ? 
  • C’est quoi son potentiel de croissance ? Le marché qui grossit, la capacité à aller prendre plus de parts de marché, élargir la gamme ou l’offre ? 
  • Est-ce qu’il y a un portefeuille de clients et de fournisseurs assez larges ou on est super dépendant de l’un d’eux ?

L’humain au cœur de l’analyse : évaluer son entreprise comme un investisseur… et un leader

Quant à Manu, comme toujours, il trouve que tout ça c’est important mais que c’est l’humain qui est le plus important : «Une bonne équipe peut sauver une boite fragile, tandis qu’une boite solide peut être ruinée en quelques années par une équipe pourrie. Il faut regarder de qui tu hérites avec cette boite »

  • Est-ce que l’équipe est mobilisée, compétente, stable ?
  • Quelle est la culture managériale ?
  • Est-ce que tu as la possibilité d’attirer et de garder les bonnes personnes ?
  • Est-ce qu’il y a un ou deux experts sur qui tout repose ?
  • Et surtout : que se passe-t-il si l’autre associé  part ? Si la réponse, c’est “tout s’écroule”, tu peux diviser le prix que vaut la boite par deux.

Se réapproprier le regard de l’investisseur sur sa propre entreprise

Allez, j’arrête avec mon histoire et ses critères à rallonge et je t’invite à faire pause :

Et ta boîte, à toi, elle est comment, vu de l’extérieur ? 

Tu l’as compris, tout l’intérêt de cette fable c’est de te proposer un regard décalé sur ta propre entreprise. Évidemment aucune boite n’est parfaite, comme l’apprennent vite les candidats au rachat, mais demande-toi honnêtement :

  • Comment tu juges la performance et la valeur de ta boîte, là, en l’état ?
  • Quels risques te feraient hésiter à y aller si tu n’étais pas dedans jusqu’au cou ?
  • Et surtout, quels signaux t’alerteraient si tu étais à la place d’un investisseur externe ? Quels sont les points faibles de ta boite qui diminueraient ton prix ou te feraient renoncer ?

Dans le Bilan d’Émancipation que je propose aux entrepreneurs de Mille Mentors qui s’interrogent sur leur entreprise, j’intègre moi même une version de cet exercice, que l’on débriefe ensemble.

Pas pour pointer les failles. 
(En général ils les connaissent déjà)

Mais pour comprendre pourquoi elles sont encore là. Et ce que ça dit, au fond, de leur stratégie, de leurs arbitrages, de leur posture de dirigeant.

Évaluer son entreprise comme un investisseur : un exercice salutaire, pas un jugement

C’est l’un des effets secondaires du métier d’entrepreneur : on est tellement pris dans l’action qu’on finit par ne plus voir les angles morts.

– Les dépendances critiques ? On serre les fesses.
– L’absence de prévisibilité ? On gère. C’est le jeu.
– Le manque de relais ou de compétences ? On compense.
– La différenciation floue ? On espère que le bouche-à-oreille continue.

Mais un investisseur, lui, n’espère rien. 
Il chiffre, il pondère, il évalue.

Et c’est pour ça que regarder ta boîte comme un investisseur, c’est un exercice salutaire. 

Pas pour la vendre. Pas pour la valoriser. Mais pour te désidentifier un instant, et revoir objectivement les priorités stratégiques.

Maintenant, ferme les yeux une minute et imagine que tu reçoives la même lettre que dans mon histoire. Pas d’héritage. Pas de millions. Juste une opportunité : “Tu veux racheter ta propre boîte, dans son état actuel ?”

Tu dis oui ? Tu poses des conditions ? Tu négocies ? Tu refuses ?
Ta réponse vaut sans doute bien plus qu’un tableur de KPI.

Elle est peut-être ton meilleur point de départ pour redevenir ce que ta boîte attend vraiment de toi : son stratège. 

Allez, je te fiche la paix et je te laisse terminer de profiter du week-end avec un extrait de Scale, excellent bouquin de David Finkel.

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