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Travailler moins, profiter plus

[Cette chronique a d’abord été publiée dans la newsletter du 30 avril 2023Abonnez-vous]

L’année où j’ai commencé à travailler la plupart des jours fériés tombaient un week-end.
C’était « l’année du patron ».

Cette année, le 1er mai, le 8 mai, le 14 juillet, le 15 août, la Toussaint… presque la moitié des jours fériés tombent en semaine.

Et, curieusement, la plupart des chefs d’entreprise que je connais, en tout cas les petits patrons de PME, en sont plutôt heureux. On va enfin pouvoir souffler. Ça aura pourtant une incidence non nulle sur la facturation des entreprises, et donc cette contradiction interroge.

Les dirigeants de plus en plus surchargés de travail

Cette apparence de contradiction est en fait révélatrice : les dirigeants, qu’ils soient entrepreneurs ou salariés, sont de plus en plus nombreux à être en surcharge.

Je serais curieux de savoir combien d’entre nous finissent leur journée bien après nos équipes.

La plupart, malheureusement, sans doute.

Et combien en tirent un motif de fierté ? Pas tant que ça, je crois. Ou, en tous cas, de moins en moins. Le temps du « moi je fais les 35 heures… par jour » est derrière nous. Mais il en reste des traces, délétères.

Ça n’a pourtant pas toujours été le cas.

Un entrepreneur du début 20e travaillait quelques heures par jour, ou par semaine, à diriger son entreprise. Et il vivait une vie plutôt confortable, grâce aux centaines d’ouvriers, mal payés, qui, eux, travaillaient une soixantaine d’heures par semaine pour l’enrichir.

Un rapport au travail qui a évolué

Alors, évidemment, loin de moi, l’idée de dire que c’était mieux avant et qu’on devrait revenir aux anciennes façons de faire, mais ce retour arrière oblige à regarder ce qui se passe aujourd’hui sans considérer que c’est forcément logique que la quantité de travail soit proportionnelle au niveau de responsabilité et de salaire.

Ce qui rémunère le travail, c’est la valeur produite, le résultat. Quel que soit son niveau de compétence, d’expérience, et de responsabilité, nos résultats individuels, le travail que l’on fait soi-même, rapportent infiniment moins à l’entreprise que le travail de centaines d’autres personnes, même beaucoup moins qualifiées.

Les gens les mieux payés devraient donc, logiquement, être ceux qui travaillent moins et font travailler les autres. C’est le cas des Bernard Arnault et autres grands capitalistes. Et c’était vrai aussi, il y a 100 ans, des petits patrons et des premiers cadres de l’industrie ou du commerce. Mais, aujourd’hui, je vois de plus en plus de cadres et d’entrepreneurs qui, rapporté à l’heure de travail, gagnent moins que leurs collaborateurs. On peut se dire que les mouvements sociaux sont passés par là mais, à la place des ouvriers mal payés, on pourrait faire travailler les machines, les robots, les ordinateurs, les algorithmes, les IA. Or, ce n’est pas ce qui se passe.

Le travail comme source d’épanouissement ?

Une chronique récente de Anne Helen Petersen met en avant les travaux du Pew Research Center (un centre américain d’études sur la société), qui montrent qu’une majorité de cadres ne prennent pas toutes les vacances auxquelles ils ont droit. Je trouve que ça va un peu loin.

Cette même enquête montre une forme d’inversion de l’échelle : plus on est payé (ou en tous cas, plus on est haut dans la hiérarchie) plus on est saturé et plus le boulot déborde, envahit toute la vie et dégrade le reste.

Travailler moins, profiter plus ? 
Graphique d'une étude du PEW Research Center sur le rapport des américains à leur travail. L'étude montre que plus le salaire et les qualifications sont élevés, plus les travailleurs voient leur travail envahir leur vie personnelle, notamment à travers des messages et mails auxquels ils répondent en dehors de leurs horaires de travail.

J’ai l’impression qu’on est passé, subrepticement, du travail comme un moyen pour construire une vie agréable, au travail comme une composante centrale d’une vie épanouie, voire au travail qui prend toute la vie.

Le travail produisait de la valeur. Puis le travail est devenu une valeur.
Puis le travail est devenu immatériel, et c’est la quantité de travail qui est devenue une valeur.

Travailler moins, vivre mieux

Les anthropologues qui, depuis les années 70, ont étudié les peuples chasseurs-cueilleurs subsistant dans les régions les plus inhospitalières de notre planète, ont calculé que ceux-ci passent environ 30 heures par semaine à travailler. La moitié à chercher leur nourriture, et la moitié à des tâches ménagères comme la cuisine et l’entretien du matériel, ou sociales comme l’éducation des enfants et la régulation du groupe. Toutes ces activités sont nécessaires à la survie du groupe et à son développement. Le reste est librement consacré au repos, à profiter de la vie et des autres.

30h/semaine de temps contraint ! Ça fait rêver ?

Nos sociétés « avancées » ont pourtant dépassé depuis longtemps le point où l’ensemble de ces besoins pourrait être satisfait en quelques heures. Alors, pourquoi travaille-t-on autant ?

Parce que notre société n’est plus construite autour de la satisfaction des besoins primaires mais autour de la satisfaction des désirs. Au lieu que le progrès technologique soit une machine à satisfaire nos désirs, il est devenu une machine à fabriquer des désirs, sans fin (sans faim !)

Et nous sommes malheureusement quelques uns qui avons réussi à nous convaincre que ce que nous désirions au plus au point, c’est de réussir au travail.

Idée pernicieuse, mais d’autant plus séduisante qu’on est bien équipé pour réussir au travail 😉

Se réaliser au travers de son entreprise, mais pas dedans

Comme entrepreneurs, comme dirigeants, nous avons pourtant toutes les clés pour mettre notre boulot au service de notre vie, pas l’inverse.

En 2004, quand nous avons dû, avec Ludovic, nous poser la question du projet que nous formions pour Goood, nous avions écrit que nous voulions « créer la boîte dont nous rêvions quand on était salariés ». Quelle erreur ! Ça nous a conduit à construire l’entreprise autour du travail que nous voulions y faire, au lieu de réfléchir aux résultats que l’on voulait apporter aux clients.

Je ne sais pas si c’est l’âge, le cynisme ou la sagesse, mais je crois aujourd’hui que la voie de la raison pour un entrepreneur c’est de se réaliser au travers de son entreprise, et pas nécessairement dans son entreprise.

Le but n’est pas de travailler comme un fou. La réussite ne consiste pas à se sacrifier pour son entreprise.

Eclatons nous

Je suis tombé la semaine dernière sur cet aphorisme, que je trouve de circonstance : « whoever has the most fun wins ».

Celui qui s’éclate le plus, gagne.

Sur le moment, je l’ai compris comme : Celui qui prend le plus de plaisir à ce qu’il fait, le fait mieux, plus longtemps, avec plus d’énergie et il réussit mieux.

Mais je me demande s’il ne faut pas plutôt prendre cette phrase au premier degré : à la fin, celui qui aura gagné, c’est celui qui aura pris le plus de plaisir.

Profitez bien de ces week-ends rallongés.

Pour aller plus loin:

Ce texte a été originellement publié dans L’hebdo de Mille Mentors, le petit mail qui fait du bien le dimanche soir : une réflexion comme celle-ci, inspirée par l’actualité de la semaine, puis quelques pépites relevées dans ma veille et une pastille détente. Pour en profiter chaque semaine en avant-première, abonnez-vous.

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