[Cet article a été initialement publié dans la newsletter du 22 mai 2022]
Combien de fois ai-je entendu, dans l’entreprise comme dans la vie, quelqu’un se plaindre qu’«ils ne font aucun effort», «ils interprètent tout de travers», «ils sont de mauvaise foi».
WIIFM (What’s in it for me) – Qu’est-ce que j’y gagne, moi ?
Très souvent, quand je suis observateur de ces situations, je me demande pourquoi «ils» le feraient. Ce qu’ils auraient à y gagner. Et quand ce n’est pas clair je comprends que les choses n’avancent pas.
C’est facile à voir chez les autres mais plus difficile à éviter pour soi. Personnellement, je vois toujours le sens de ce que je demande.
Le truc c’est que, ce qui compte, encore une fois, c’est ce que les autres perçoivent, pas ce que je sais.
C’était déjà le propos de mon édito sur l’écriture des mails. Et c’est la même chose pour la direction. Une décision efficace, c’est d’abord une décision qui est suivie d’effet, et c’est pas si simple car, pour ça, on dépend du bon vouloir d’autrui.
Quand on dirige, on se heurte souvent à cette difficulté de mise en œuvre de nos décisions. Ce n’est pas parce qu’on a les galons et que l’on décide que les choses se font.
Et quand on met de côté les galons, et que l’on débat entre pairs, ce n’est pas non plus parce qu’on a raison que notre point de vue l’emporte et que les gens se mettent au boulot.
Je crois profondément, et c’est même un de mes mantra en management, que «l’homme n’est mobilisable que par ses intérêts».
Tout ce qu’on demande à l’autre, tout ce qui demande un effort, aussi minime soit-il, a un coût. Quelle valeur l’autre obtient-il pour ce coût ? La tranquillité ? Le renforcement de la relation ? L’espoir d’être apprécié ? Un supplément de pouvoir ? La confirmation de son identité (de gentil, de dur, de bosseur, de fiable … ?)
Cela paraît cynique mais cela ne veut pas dire que l’homme est un mercenaire incapable de générosité, d’entraide, de sacrifice. Simplement que l’on est généreux parce qu’on trouve intérêt à l’être.
Je crois donc que pour interagir efficacement avec les autres, il est important de comprendre leur point de vue et ce qui les anime ou les motive, pour identifier leurs besoins et trouver le moyen d’y répondre.
Le leadership c’est de l’empathie
L’essence du leadership c’est l’art d’amener quelqu’un d’autre à faire ce que vous voulez qu’il fasse parce qu’il veut le faire, et non parce que votre position de pouvoir, ou d’autorité, peut le contraindre à le faire disait Eisenhower.
Voici pourquoi j’affirme que la compétence essentielle en management c’est la capacité à se mettre à la place des autres.
Et, au-delà du management, je dirais que c’est une compétence essentielle dans l’entreprise, pour la vente, le recrutement, les achats, le marketing ou la politique interne mais même une compétence essentielle dans la vie.
On pourrait parler d’intelligence relationnelle, ou émotionnelle mais cela donne le sentiment d’une aptitude naturelle dont certains seraient dotés et d’autres moins.
Or, s’il est évident que certaines personnes ont su développer dès leur enfance une aisance spontanée dans leurs relations aux autres, je crois profondément que c’est une compétence, et qu’elle s’acquiert.
En tous cas ça me rassure de le penser car je n’ai jamais été très fort pour décoder les émotions et j’aime à croire que je peux quand même comprendre ce qui anime les gens avec qui je travaille.
Dans le fond il s’agit d’être capable de changer de perspective pour prendre la perspective de l’autre.
Donc de connaître et comprendre l’autre.
Et donc de s’intéresser à l’autre.
L’empathie se développe aussi dans les 1à1
C’est pour ça que la relation est le socle, la première marche de l’escalier du management.
C’est à ça, aussi, que servent les 1à1 : à écouter, à entendre ce qui est dit et ce qui est tu, à reformuler, à observer et à dire ce qu’on a observé pour laisser la place à l’autre pour donner sa version.
On peut également, et on devrait, saisir toutes les opportunités de se faire expliquer le métier, la situation et les contraintes des gens avec qui l’on interagit car cela améliore notre capacité à imaginer leur point de vue.
C’est une approche sans doute un peu intellectuelle du sujet mais elle est bien utile quand, comme moi, on n’est pas très à l’aise avec les émotions.
Et si, au contraire, on ressent facilement et fortement les émotions, les siennes et celles des autres, on peut s’entraîner à les reconnaître, à les verbaliser et à y associer les réponses appropriées.
Attention à la contagion émotionnelle
Car l’empathie ce n’est pas s’accorder aux émotions de l’autre. Ça c’est la contagion émotionnelle. Et ce n’est pas toujours adapté. Ressentir de la colère quand l’autre est en colère est naturel mais rarement une voie vers la résolution du problème.
L’empathie c’est la capacité à reconnaître l’émotion de l’autre et à y apporter une réponse adaptée, sans la nier.
Dire à l’autre « il ne faut pas avoir peur » c’est non seulement inefficace mais c’est même un peu insultant, c’est lui refuser le droit d’avoir peur. Dire «je comprends que ça t’angoisse et voilà ce qu’on va faire pour te sécuriser» est plus utile.
Le leadership c’est donc une compétence qui s’appuie sur la compréhension des émotions et qui se développe.
Et si, comme moi, vous n’êtes pas naturellement empathique, vous pouvez enrichir votre capital empathique par l’art : comme l’écrivait Edgar Morin «Au cinéma nous découvrons des êtres dans leur humanité […] Nous sommes capables de comprendre et d’aimer le vagabond Charlot que nous dédaignons quand nous le croisons dans la rue».
Vous croyez que je pourrais passer mes tickets de cinéma en note de frais ?
Pour aller plus loin :
- Un hors série croisé de deux podcast («Émotions» et «Travail [en cours]») de Louie Media : Pourquoi l’empathie est si importante, notamment au travail ?
- Une analyse de la compétence clé des leaders. La réponse des chercheurs n’est pas si éloignée de la mienne. How Can You Tell Someone Has Exceptional Leadership Skills? It Boils Down to 1 Word
- L’essai d’Edgar Morin : «Enseigner à vivre: Manifeste pour changer l’éducation»
Ce texte a été originellement publié dans L’hebdo de Mille Mentors, le petit mail qui fait du bien le dimanche soir : une réflexion comme celle-ci, inspirée par l’actualité de la semaine, puis quelques pépites relevées dans ma veille et une pastille détente. Pour en profiter chaque semaine en avant-première, abonnez-vous.
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